Pour la première fois aujourd'hui, j'en ai touché un.
Un détenu.
Je sais qu'il ne faut pas.
Mais parfois, on ne se sent pas d'autre choix.
Il est arrivé, le front barré d'ecchymoses et d'estafilades, une trace de sang oubliée sur le bras.
Plusieurs semaines sans parloir, sans réponse aux demandes, sans dentiste, sans sommeil donc ...
Sans compassion, ni regard bienveillant.
Ils deviennent fous parfois. Fous de rage.
Alors celui-là, quand le pointeur* est venu une fois de plus le bassiner avec ses histoires, et qu'il s'est même permis de se faire un peu menaçant, il se sont battus, et dans le feu de l'action, parce qu'il faut frapper fort et vite pour ne pas y rester, il lui a explosé la mâchoire avec son front. Parce qu'il est petit et que l'autre est grand, sinon ça aurait été le nez.
Et donc, sur son front, il y avait la marque des dents.
Et dans ses yeux noirs, très noirs, toute cette colère, ce flot impétueux de violence, et puis cette envie de pleurer qu'ils ont, que je vois, mais qu'ils ravalent s'ils ne sont pas tout seul. Et là, il y avait un autre détenu.
Je voyait bien que ma boîte à idées noires, ça n'allait pas être le jour ...
Impossible à raisonner avec ça.
Je ne savais pas quoi faire, alors j'ai dit "Oui, je vous comprends. Mais c'est inutile de se mettre en rage contre quelque chose qu'on ne peut pas changer."
C'est là que j'ai posé ma main sur son épaule, et même avec un peu de fermeté. Pour le contenir, avant qu'il n'explose.
Il ne s'est pas dégagé comme font certains enfants pour qui le contact est insupportable.
Il a dit : "Si, je vais le changer, tout ça, je vais le mettre dans mon livre".
Alors j'ai su que je pouvais enlever ma main : "D'accord, on va chercher des mots pour le dire."
Mais à mon avis, il ne sera pas au prochain cours.
Il sera au mitard.
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* Pointeur = violeur, très mal vus des autres détenus, surtout quand ils se la pètent
Donne nous des nouvelles de ce garçon...
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