mardi 25 mai 2010

GPS

Hier
la Gourde qui Parle Seule nous a paumés en région parisienne
nous infligeant embouteillages, travaux du tramway, cités lugubres, direction Porte de la Chapelle, au lieu de nous faire contourner Paris par l'ouest.
Bilan :
plus de deux bonnes heures de perdues
qui auraient pu être utilement amorties chez un grand faiseur de meubles suédois
Or donc,
avant que la gourde brune qui lit les cartes ne reprenne le contrôle du véhicule,
on s'est retrouvé sur la route qui longe l'endroit où je vivais enfant
endroit que j'abhorre
et du reste
chaque fois que j'y passe
j'ai la gerbe.

Banlieue pavillonnaire
empreintes de souvenir tristes
de solitude
de misère
de détresse invisible
d'angoisses
de responsabilités bien trop lourdes pour une enfant.

En passant, j'ai vu qu'il y avait toujours un magasin Atlas
environné désormais de toutes les enseignes d'entrée de ville possibles
restaurants de chaîne dégueu
royaume des génies du bricolage
cathédrale des jardiniers du dimanche

et alors cette fois-ci
au lieu de ravaler mes larmes et de pincer les lèvres sur mon envie de vomir
j'ai pris la sortie
et je suis entrée dans la cité
pompeusement baptisée "résidence du Rû de vaux"

La ligne RATP est toujours là, mais les abribus sont tous en durs (parce qu'ils ne brûlent pas j'imagine, contrairement aux poteaux).

La légère barrière blanche qui ceinturait le pavillon du coin de la rue s'est effacée au profit d'un mur fortifié à la mexicaine.

J'ai bien reconnu les petits HLM de quatre étages, même sous leur coquet ravalement en parements de briques.
Ils sont maintenant environnés d'arbres, qui n'existaient pas voilà quarante ans.
Et aussi, toutes les fenêtres des rez-de-chaussée ont des barreaux, il y a un code pour se garer sur le parking, et un autre pour pénétrer dans les immeubles.
La cabine téléphonique en face a été brûlée. Je me souviens que je m'en servais pas mal, parce qu'on n'avait pas le téléphone à la maison.
J'ai marché jusqu'à mon ancien immeuble, sis au numéro 2 de l'allée des tulipes.
Des tulipes, y en n'a pas, mais ce n'est pas vilain.
J'ai levé le nez vers notre appartement. Du balcon, on a toujours vue plongeante chez les voisins d'en face.
Je me suis souvenue des Noëls de dénuement et de tristesse, plombés par les petites lumières qui clignotaient chez les autres.
De la voisine du dessous qui se plaignait du bruit de mes sabots et de la machine à laver, mais qui, jamais, jamais, ne s'est demandée pourquoi c'était une gamine qui la faisait tourner à point d'heure.
Et puis j'ai regardé les noms en bas, mais je n'ai pas vu celui de la famille Maklouf, qui nous donnait des petits gâteaux de Ramadan.
C'est tout remonté d'un coup, un afflux de souvenirs gris, que j'avais réussi à contenir jusqu'à présent.
J'ai eu un peu envie de pleurer, je n'ai pas pu. Mais quand même, ça m'a fait du bien.
J'ai dit : "Quand même, je ne vais pas continuer à avoir envie de vomir chaque fois que je passe ici pour les vingt ans qui viennent".
Et puis quand je suis arrivée chez moi, quelques heures plus tard, en sortant de la voiture, j'ai senti l'odeur de l'herbe coupée dans la tiédeur de la nuit.
J'ai pu m'endormir apaisée.

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