dimanche 15 avril 2012

Le petit virage au fond de la vallée...

D'habitude, je passe une heure plus tôt, mais le principal m'a demandé un compte-rendu d'évaluation pour le dossier de d'orientation d'un de mes élèves. C'était urgent. Je suis restée une heure de plus.
D'habitude je n'emprunte pas cet itinéraire.
Mais sur la route de Guéret il y a une déviation, et les déviations chez nous, c'est long et cahoteux.
Alors je prends la route de Gouzon, pour revenir par la N145, un peu plus de kilomètres, un peu moins de temps.
En principe.


Dans le virage en montée, je note la présence d'une voiture pliée contre un arbre à l'aplomb du ravin. Le conducteur a eu de la chance. Sans l'arbre, c'était la plongée. En passant devant, il me semble apercevoir un mouvement à l'intérieur. J'ai un doute. Je ralentis, je fais demi-tour, et je m'arrête en allumant mes feux de détresse. Le type derrière moi lève les bras au ciel.
Mais en me voyant sortir et courir vers le véhicule, il s'arrête aussi et me rejoint.

Il y a bien quelqu'un qui s'extirpe de la voiture, sonné, l'arcade sourcilière en sang. L'accident vient juste de se produire, et, vu la position, il a dû essuyer un sacré tête à queue.

"- ça va monsieur ? vous avez besoin d'aide ?
- oui, oui ça va, je n'ai rien.
- ben, quand même, vous avez l'air bizarre. Vous avez appelé quelqu'un ?
- oui, oui.
- ça a dû être un sacré choc, il faudrait vous faire examiner quand même."

A ce moment, l'autre conducteur intervient. Manifestement il le connaît.
"- Tu as appelé ta copine ?
- Non, elle travaille.
- Tu ne veux pas que je te redescende à Boussac ?
- Non, non, je vais attendre ici. J'ai appelé le garage pour qu'ils viennent avec la dépanneuse."
Le garage ? Je trouve ça bizarre, mais bon. Il est avec quelqu'un qu'il connaît, je m'apprête à prendre congé, quand je vois l'autre repartir vers sa fourgonnette.
"- vous ne restez pas avec lui jusqu'à ce que quelqu'un arrive ?"
Le type a un air à peine gêné qui veut dire non.
Je suis un peu interloquée, je m'entends dire :
 "- Bon je vais rester moi.
- Non, non ce n'est pas la peine dit l'accidenté.
- Je regrette, je ne vous laisse pas tout seul. Imaginez que vous fassiez un malaise maintenant."
L'autre se barre en crabe et nous lance :
"- Je vais passer au garage voir s'ils arrivent bien;"
Le fourbe. 
Va donc eh ! Facebookfriend !

A partir de ce moment
le temps s'écoule bien plus lentement.
D'abord, il faut mettre en place la cellule psychologique d'urgence ( = mon sourire dégagé)
pour le type qui me fait un coup de calgon. Il lâche un "j'ai encore plus de voiture" sur un ton qui en dit long sur la série d'emmerdes qu'il traverse, précise qu'il vient de claquer 200 euros de pneus neufs sur internet pour une guimbarde désormais inutilisable et je comprends pourquoi il a appelé le garage plutôt que les gendarmes : c'est l'éclatement d'un pneu lisse qui l'a envoyé dans le décor.

Je me retiens de lui dire que c'est "l'argent du rabbin", comme on dit chez ma copine Juliette, autrement dit, l'argent pour apprendre;

Je tente une diversion rigolarde sur la loi de l'emmerdement maximal, qui veut que la tartine tombe toujours du côté beurré, et attire son attention sur l'écorce éclatée de l'arbre qui lui a sauvé la vie finalement.
"- Oui, ben, des fois, vaudrait mieux y rester.
- Allez, ne dites pas ça, réjouissez-vous d'être encore en vie."

C'est mon côté philosophe tibétaine, l'impermanence des choses et tout ça.
Dis donc, depuis que je médite, quelle acuité j'ai !
Au maximum de mes capacités je suis.

La conversation s'égare sur les chemins de traverse de la campagne électorale : il ne donnera pas sa voix à Eva Joly, à cause qu'elle a des lunettes affreuses. J'ai comme dans l'idée que, même si elle n'avait pas changé de binocles, il n'aurait pas voté vert.
Il me parle de son jardin. Je suis sûre qu'il utilise du Round'up.

Punaise, ma montre est arrêtée ou quoi ? Ah non, c'est que je n'ai pas de montre en fait.
Mais je constate que le reflux brutal du taux d'adrénaline doit faire monter celui de testostérone, parce qu'il ne perd pas le nord :
"- Vous vous appelez comment ?
J'ai la présence d'esprit de donner mon pseudo.
- Oui mais Coline comment ?
- Pourquoi voulez-vous savoir  mon nom ?
C'est moi où il a des yeux de loup un peu ?
Je me sens ridicule.
Je maudis le garage Citroën de Boussac ET le type sensé le prévenir ET l'article 223-6 du code pénal (non assistance à personne en danger) ET les travaux sur la route ET le principal du collège.
- Ben, si je veux vous remercier."
Comme une niaise, je lâche mon nom, le vrai.
Argl...

Je note aussi toutes les voitures qui passent, et dont les conducteurs nous font des petits coucous avec la main en passant. Je n'en reviens pas...

Je suis à un demi-doigt de regretter d'avoir rempli mon devoir de citoyenne en m'arrêtant pour porter secours. Quand enfin, deux autres gars du coin s'arrêtent.
Ils le connaissent aussi, le saluent, moi aussi -on fait déjà vieux couple ou bien ?- s'enquièrent de sa santé, pestent contre l'absence de glissière alors qu'à Trois-Fonds ils en ont, tout ça, tout ça.
Je retrouve mes esprits :
"- Bon, ben je vais vous laisser avec lui hein !"

Il m'attrape la main, l'embrasse :
"-Vous êtes une princesse !"
J'admets, ça fait plaisir.
Mais pourquoi suis-je allée répondre :
"-Non, une reine !"
uh uh
Stupid queen oui.

Et pour enfoncer le clou -très certainement j'étais en hypoglycémie, vu que je n'avais pas pris mon goûter- quand il me crie :
- j'espère vous revoir !
je réponds finement :
- n'allez pas avoir un accident tous les vendredis quand même !
- Ah, vous passez tous les vendredis..
En plaquant la paume de ma main sur ma bouche pour ne rien répondre d'encore plus bête, et pour ne pas me donner de baffes non plus,  je m'engouffre dans ma voiture en récapitulant :
il connaît mon nom, mais pas mon prénom, je viens tous les vendredis mais une heure plus tôt et pas par cette route, vendredi prochain je reste à Guéret et après ce sont les vacances.
Avec un peu de chance, cette grande histoire romantique ne restera gravée que dans l'écorce de l'arbre.

Et surtout
20 minutes de méditation
ce n'est pas suffisant.





8 commentaires:

  1. ben dit donc !
    quelle histoire !!


    et
    si tu as la mémoire des lieux comme moi t'as pas fini d'y penser
    quand tu repasseras par là

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  2. Vraiment, quelle histoire! Et quel comportement de citoyenne exemplaire! Bravo! Digne d'une reine!

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  3. Quelle aventure !
    J'admire que tu sois restée si longtemps... bel exemple...

    Et en plus de gagner un admirateur accidenté, je crois que tu en as gagné un 2ème avec "pneu", trop cool, non ? :)

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  4. mouai
    c'est pas croyable la chance que j'ai...
    tu crois qu'ils me feront un prix
    sur lesdits pneus ?

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  5. Peut-être... si tu y vas avec ta couronne ! :D

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  6. Ha ha ha !!!
    Pardon mais c'est trop bon !
    Surtout la main sur la bouche à la fin !

    As pas peur : y'a qu'une Coline près de Guéret dans l'annuaire (et c'est pas toi !) et 111 réponses avec ton (vrai) nom... l'a pas fini de rêver de sa princesse mystérieuse l'aut'frappé entouré de copains !

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  7. te méfier tu devrais
    à force de méditer
    parler comme yoda tu commences !

    en tout cas, une fois de plus, à ta lecture trop souri j'ai !

    ;)

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  8. même jour mais pas même heure alors ...

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