samedi 6 octobre 2012

Tout l'univers


Le jour où j'ai découvert Clorinde, j'ai aussi découvert le vernis-colle, et on peut dire que ça a changé ma vie.
C'était il y a huit ans.
Un petit matin de brume, une bonne heure de route, l'arrivée dans l'atelier : début du stage sur les carnets de voyage.
Je m'attendais à une table, du matériel, un carnet, un voyage, des instructions, des techniques.
Mais pas du tout.
Enfin pas tout à fait.
Parce que là, dans la combinaison rouge toute peinturée, ce n'était pas une prof qui nous parlait. C'était une plasticienne.
Avec atelier s'il vous plaît. Les portes grandes ouvertes sur un univers esthétique à explorer, prêt à être partagé : des coffres, des étagères, des caisses à roulettes, remplies de possibles.
Et une louche,
plongée dans un seau de vernis-colle.
Je m'étais inscrite parce que je sentais bien que les mains et les yeux pouvaient donner à voir autre chose que ces productions pathétiques élaborées au cours pénibles séances pompeusement affublées du vocable d'arts plastiques, sur lesquelles je ramais -comme dans du sable – depuis trois ans.
Élevée dans une caisse à savon, j'avais le rapport à la culture des gens de peu : un concept un peu grandiose, bien à l'abri dans les musées, à distance du quotidien. L'art, jusque là, je croyais que ça n'était pas pour moi. La culture du beau, de l'esthétique, de l'œuvre de référence, je ne l'avais pas. Les techniques je ne les connaissais pas.
Il fallait que ça change.
Avec Clorinde, j'ai appris trois choses. La première c'est que cadrer le monde avec une lunette en fil de fer, ce n'est pas voir les choses par le petit bout de la lorgnette. C'est se donner les moyens de voir des détails, de délimiter des contours, de saisir ce qui est à notre portée sans aller se perdre dans l'immensité. La deuxième c'est le concept de dictée visuelle. On écoute les mots, et en quelques minutes, on pioche dans le matériel pour créer une représentation. La troisième, c 'est que le beau n'est pas forcément l'académique, bien au contraire, et qu'à ce compte là, il est permis à tous de s'y frotter.
Bref, la production plastique, j'ai compris que c'est déjà une question de regard, et que si on a l'œil, on a la main.
Alors, quand elle nous a dit de représenter le chemin parcouru pour venir jusqu'à elle, j'ai eu confiance, et j'ai osé choisir une boîte.
Parce que j'en avais envie.
Une boîte, une chose en entraînant une autre, ça veut dire un trésor. Et ça faisait un petit moment que je lorgnais sur le concept.
Première tentative, quelques mois avant, l'idée d'une boîte de Noël, avec ma première classe. Dans mon idée, c'était une boîte décorée Noël, sentant Noël, tintinnabulant Noël, au toucher doux et soyeux. Dans la réalité, ce fut terriblement minable, posé dans la pièce à côté, et écrasé par les pieds du cantonnier qui a aucun moment n'avait eu l'idée que ça puisse être des œuvres.
Quelques mois plus tard, j'ai entrepris le périple jusqu'à cet atelier. Je suis arrivée avec le cœur qui cognait aux tempes. Pas seulement parce que j'étais en retard. C'est ce truc un peu délicieux et un peu douloureux, quand tu sais que tu vas te confronter à quelque chose qui te semble un peu trop grand pour toi. Inaccessible.
Deux jours plus tard, je m'étais essayé au croquis, au portrait, et je me sentais vivante, grandie. Je suis repartie avec une bonne rasade de confiance en moi, un genre d'alcool fort qui te fait chaud partout, et t'étourdit un peu.
Et ma boîte, pas terminée.
Sur la feuille d'évaluation, à la question « Êtes-vous satisfait du travail que vous avez réalisé ? », j'ai répondu « Non, pas encore. Mais ce non achèvement me convient très bien. » et à « que pensez-vous de la méthode ? », je me suis enthousiasmée « faire pour savoir-faire, ouis faire faire : oui et encore oui ! ».
Depuis j'ai tordu, plié, découpé, déchiré, collé, plongé avec bonheur mes doigts dans la peinture, soufflé sur de l'encre, protégé les croquis de mes carnets de mémoire avec des bouts de papier de soie scotchés.
Chacun de ces petits gestes devenus spontanés m'évoque encore ces deux jours lumineux, étonnants et espiègles.
L'une des rares choses à laquelle je sois fidèle.
J'ajoute, j'enlève.
Elle ne sera jamais terminée.
Parce qu'elle est vivante.

Édit 1 : aucune remarque sur le sous-pull svp. Je jure que je ne l'ai plus.
Édit 2 : c'est mon texte pour le livre sur Art Nomad, à paraître.

7 commentaires:

  1. j'ai eu la même expérience ou presque
    grâce à un atelier avec un "prof(mais ce terme ne lui convient qu'à moitié plutôt artiste iconoclaste réfractaire écorché en colère provocateur ) à l'EN
    avec un atelier du soir (on devait être une dizaine) et un comparse de mon groupe aussi plasticien à l'EN on ne sait comment (d'ailleurs ils on tout fait pour le virer et finalement réussi)
    une naissance une éclosion mais balbutiante

    ensuite à la maternelle et son "moins cadré" j'ai continué à explorer expérimenter découvrir essayer

    actuellement point mort
    et une partie de moi à peine entrouverte s'est recroquevillée actuellement

    j'espère qu'elle ne flétrira pas trop et pourra un jour à nouveau s'épanouir

    à toi je souhaite la suite de ces découvertes et développement

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  2. et la même expérience sur un autre plan en sport
    jusqu'à rencontrer "la "personne la prof qui avait un autre regard
    de l'espoir galvanisait

    que d'années perdues avant
    mais elle est arrivée si tard presque trop tard

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  3. Dommage qu'on ne puisse pas faire de remarque "il" avait de bien jolies rayures... :)

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  4. Je viens de découvrir l'edit 2 (ben oui, je m'étais bêtement arrêtée au sous-pull ;) )
    et du coup de relire la partie de ton texte qui m'était restée un peu obscure... et là, ça m'a plus parlé (peut-être parce qu'il est moins tard ? ;) ) et je trouve que c'est une belle contribution pour le livre, très positive et qui donne envie de "s'y frotter" aussi

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  5. Je plussoie : très belle participation, y a pas de mot pour dire (partageante ? invitante ? partinvitageante ??)

    Et j'avais le même ... pull, pas sous-pull, quand même hein, y a des limites ! haha !

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