Par vent debout

La mer, par gros temps, ça tangue.
L'océan, sans amer, est trop vaste, à s'y perdre.
J'ai fait ajut, parfois même me suis baguée

m'arraisonner ? me saborder ? me tenir au large ?

J'avais beau m'arrimer, toujours ça tossait

certains prennent des bittures, moi,  pour défense, j'ai arrimé à mon ventre coffres et ballons

j'ai bourlingué, culé, tiré des bords 

de voie-d'eau en cabanages, engluée dans la vase, je déhalais comme je pouvais

je fermais les écoutilles, j'écopais avec un dé à coudre

 je restais à la traîne, toute dépalée,

drossée par les vents contraires ou encalminée

je gîtais, prenais de la bande

à deux doigts de m'échouer en cette terre inconnue.

Une nuit terrible dans le pot au noir

tenue de faire relâche en rade foraine,

une aube d'embellie plus tard

je me suis réveillée résolue à épauler la lame

va savoir pourquoi !
Peut-être le

tiens-bon !  intimé par mon souffle quand j'essuyais des grains.
Sur mon navire fantôme,

j'ai allumé tous les fanaux, passé le faubert sur le pont

ça brillait.

Au jusant, j'ai délesté,

- d'abord larguer la Marie-Salope -

j'ai gardé le taud et la table à roulis

on ne sait jamais.

J'ai profité de l'étale de marée pour déhaler.

Passé le musoir du mole, le vent a fraîchi

c'était bon signe, j'étais parée.

Depuis que je ne crains plus les saute de vent

accoudée au bastingage

je regarde l'étrave fendre  l'écume des jours

qu'importe le sillage,
à bon port, bon équipage.

Et quelques années encore

à tenir la mer.

Georges Brassens - La Marine par kyssiane