samedi 30 mars 2013

Salade russe #4

Après le com anonyme
sous le post précédent
j'ai envie de vous dire
que
si je parle ici
d'une histoire très personnelle et très intime,
c'est que je me suis rendue compte que c'est d'une banalité effrayante
et très honteuse,
silencieuse.
Et cette honte, elle est injuste.
Alors que ceux, concernés, qui passent ici,
sachent qu'ils ne sont pas seuls.

Pour supporter,
parfois,
je me suis dit : "Et s'il mourrait, tu te sentirais comment ? Libérée ?"
Et ça m'aidait à relativiser, à prendre de la distance, à continuer à lui tendre la main.

Parfois aussi j'explosais,
et je lui disais des choses affreuses,
des choses qu'une mère ne saurait dire à son enfant.
Mais devant cette violence,
je perdais le discernement : ce type là, devant moi, ce n'était plus mon fils, ça ne pouvait pas être lui.

Et pourtant si....
Je me suis sentie mauvaise,
nulle de l'avoir si mal élevé.

Il y a deux expressions que je ne peux plus entendre :
l'oxymore "drogue douce"
et le "tout le monde fume, c'est normal".
D'abord c'est faux : tout le monde ne fume pas.
Un jeune sur deux ne fume pas...
ah ah ah
Et surtout,
banal ne veut pas dire normal.
Oui, ce tellement banal qu'ils finissent par laisser traîner leurs barrettes,
par se rouler un joint n'importe où en public,
et que le médecin de famille te dit "faut pas en faire un drame non plus..."

Non, décidément, ce n'est pas parce que c'est banal que c'est normal.
Faudrait déjà qu'on soit clair avec ça.
Dix ans d'études de droit : la norme pour moi, c'est la loi.
Quand on n'est plus sûr de rien,
de ce qu'il faut faire,
il est bon de se souvenir que ces comportements sont interdits.
Point.

C'est pourquoi, j'ai été à deux doigts de porter plainte contre lui,
de le dénoncer,
et peut-être que j'aurais dû.
Ce qui m'a arrêtée
c'est que je n'avais guère l'envie de le retrouver à la maison d'arrêt :
la prison est très loin d'être un lieu de reconstruction, et bien souvent, les jeunes y apprennent le pire.

Finalement, c'est sa propre imprudence qui l'a conduit devant le délégué du procureur, pour la fameuse "composition pénale"  aka tu paies 100 €
pour qu'ils visionnent un film sur les dangers du cannabis.
Qu'ils connaissent très bien.

Nous adultes, qui sommes souvent dans le déni,
pouvons nous attendre d'un gamin pas fini
qu'il soit dans le principe de réalité ?

Alors j'ai dit non,
et tout le monde - son père, l'avocate, le délégué..;- s'est tourné vers moi,
et m'a regardée comme si j'avais dit "à mort la République !".
Mais j'ai tenu bon
et
j'ai employé le mot de maltraitance.
Lui,
il était violet de colère.
Explosion.
" - Je ne t'ai jamais frappée !
- Non, mais tu le feras un jour. Parce que la maltraitance ça commence toujours comme ça : les insultes, les paroles humiliantes, les objets cassés, et pour finir le poing levé. Qui un jour frappe.
Oui, ce que tu fais, c'est de la maltraitance. D'un homme sur une femme, même si je suis ta mère. Et la seule chose qui mette fin à la maltraitance, c'est de la nommer, de dire son nom et de dire non. J'ai peur de toi, est-ce que c'est acceptable ça ? "

Et j'ai tenu bon,
en demandant que ce soit inscrit dans le procès verbal.
Je savais bien que ça se terminerait devant un juge.
Mais je savais aussi,
que le rappel à la loi,
par ce tiers symbolique de l'autorité qu'est le magistrat,
c'est une très bonne chose.

Une fois, il a dit : "Mais elle est qui celle-là, pour me juger ?".
Ben, elle est juge justement.
C'est son boulot.
C'est là qu'on voit que ce sont des gamins bien paumés,
malgré tout ce qu'on a cru leur apprendre.

Indéniablement, ça l'a fait réfléchir,
pendant les quelques semaines d'attente de l'audience.
Mais ça n'a pas suffit.
alors, oui
moi aussi
tu vois
je lui ai demandé de partir de chez moi,
puisqu'il n'en acceptait pas les règles.

Son père,
à qui j'en voulais terriblement pour sa permissivité excessive,
a été obligé de le prendre en charge.
Il a enfin ouvert les yeux.

Revenu à la maison quelques mois plus tard,
un problème de santé.
C'est dans ces moments qu'on sait avec certitude
qu'ils restent nos enfants.

Avec le recul,
je suis heureuse de n'avoir jamais complètement rompu la communication,
gardé la porte entrouverte,
exigé qu'il remette sa chambre en état,
aidé à monter son dossier pour partir.

Un gamin odieux
mais qui trouve la ressource de te dire "Maman, il faut que je partie d'ici, sinon je vais très mal tourner"
t'es obligé de l'entendre.

Du voyage au pays des soviets,
je n'attends rien.
Je veux dire,
je n'attends pas qu'il rentre changé.
J'aurais trop peur d'être déçue.

Mais je suis heureuse qu'il ne soit pas là
et que ce ne soit pas parce qu'il est mort ;
qu'il se soit donné sa propre chance de découvertes, de galères et de bonheurs à vivre sur son chemin à lui.

Peut-être qu'ils enragent de dépendre de nous,
et que c'est pour ça qu'ils mordent la main qui les nourrit ?

C'est ce que j'ai envie de te dire
anonyme,
ils ne nous appartiennent pas,
ils font leur choix de vie,
mais ils restent nos enfants.

Tu ne l'as pas abandonné.
Je crois au contraire
qu'il faut beaucoup d'amour pour laisser partir ses enfants.
Et comme m'a dit ma Cécile un jour,
c'est de l'amour inconditionnel.
Les laisser partir, c'est leur faire confiance.
Pourvu qu'il sorte de cette période de turbulence sans s'être abimé davantage,
moi ça me convient.


12 commentaires:

  1. Merci Coline !
    Je ne voyais pas les choses comme ça.
    Dire que je me sentais bête de ne jamais avoir essayé... pffff !
    Merci pour moi et merci pour mes enfants !

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  2. Merci pour cet article.
    Et pour aller dans son sens, voici ce que j'avais écrit, à l'époque, à ses grands parents qui s'inquiétaient et me culpabilisaient:

    "Son choix.

    Dans le vie, quand on a la santé, on a toujours le choix.
    Le choix d'être heureux ou pas.
    Le choix de réussir ou pas.
    Tout n'est question que de moyens.
    Les moyens que l'on se donne pour y parvenir.

    G. avait tout.

    Un toit au-dessus de sa tête, une chambre chauffée, un lit douillet, l'accès libre au frigo et aux placards toujours pleins.
    L'ouverture à la culture avec le lycée, internet et tous les livres que je possède.
    Des facilités à mémoriser, une grande culture générale, une aisance à apprendre qui lui auraient permis d'aller loin dans ses études.
    Le dialogue possible sur différents sujets, car je crois être plutôt ouverte d'esprit.
    La liberté d'aller et venir à sa guise chez ses amis et de les inviter à manger et dormir.
    La liberté de rentrer et sortir sans contrainte horaire.
    Celle de téléphoner avec son téléphone dernier cri ou mon fixe à qui bon lui semblait et aussi longtemps qu'il le voulait sans souci de payer la facture.
    Celle de regarder la télévision et/ou des DVD.
    Celle de télécharger, surfer, jouer,sur le net des nuits entières.
    Des copains.
    Une petite amie.
    Et même de l'argent de poche qu'il refusait.
    Il avait tout ce qu'un jeune de son âge peut rêver.
    Ça ne lui suffisait pas.
    Il voulait être libre.
    Libre dans sa bouche, ça voulait dire : faire ce que je veux, quand je veux, comme je veux sans la moindre contrainte.
    Il a juste confondu liberté et autonomie.
    Il a choisi délibérément de mettre un terme à tout ce qu'il avait et aurait pu encore avoir.
    Il a fait ce choix en toute connaissance de cause.
    D'abord, en ne travaillant plus au lycée, en séchant les cours et donc en échouant au bac se fermant ainsi la porte d'accès aux études supérieures et réduisant considérablement l'éventail de sa vie professionnelle.
    Ensuite en refusant les 2 petites règles que je lui demandais de suivre : me respecter et respecter son lieu de vie.
    Je l'avais prévenu, plusieurs fois. Je n'accepterai pas de me faire tyranniser impunément.
    Il a choisi de continuer à m'insulter , à me malmener, à transformer sa chambre en déchetterie.
    Il a choisi de continuer à dormir le jour et trainer la nuit au lieu de se prendre en charge en cherchant des stages, des formations ou des petits boulots.
    Il a surtout choisi de continuer à fumer cette merde et à se rire de moi et de mes mises en garde quant à sa dangerosité.
    Il savait qu'à un moment donné, il devrait prendre ses responsabilités.
    Il savait qu'il devrait assumer les conséquences de ses actes et aller au bout de ses choix.

    Parfois une séparation est salutaire même si c'est un crève cœur pour nous parents.
    Elle permet de prendre le recul que l'on a plus quand on est au cœur de la tourmente.
    Elle permet de mesurer ce que l'on gagne mais aussi ce que l'on perd.
    Où il est et ce qu'il fait à présent, je dirais que ça ne regarde que lui et lui seul.
    Il a choisi sa vie.
    Il faut que nous respections ce choix tout aussi douloureux soit-il pour nous qui sommes dans l'ignorance de ce qu'il vit.
    G. est intelligent.
    Il a su contacter son père quand il en a eu besoin.
    Il a su me contacter pour récupérer ses affaires.
    Il nous contactera encore s'il a besoin de nous.
    Il n'est pas seul.
    Nous lui avons tous envoyé des messages.
    Il a choisi de ne pas y répondre.
    Respectons ce silence et faisons-lui confiance.
    Il sait que nous sommes là.
    Il a peut-être simplement envie qu'on lui fiche la paix.
    Il voulait être libre.
    Laissons-le goûter à cette liberté.
    Laissons-le se heurter à la vie, la vraie, celle où l' on a parfois peur, parfois mal mais dont on sort grandi et muri."

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  3. @anonyme : merci d'avoir pris le temps de poster ce texte
    merci oui
    ça me touche
    et il y a tout...

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  4. C'est terrible à admettre
    mais
    en te lisant
    je me rends compte
    à quel point on leur donne trop de matériel...
    peut-être que c'est ça qui les emprisonne finalement,
    l'idée que tout seuls, il n'auraient pas autant,
    ou quelque chose de cet ordre.

    Mais n'est pas un regret,
    d'abord
    on ne peut pas revenir en arrière,
    et ensuite,
    doit-on se sentir coupable de faire le mieux possible pour nos enfants ?

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  5. je venais rajouter un mot
    ça tourne dans ma tête depuis ce matin tant de souffrance sous entendue et pas complètement dite
    mais finalement
    plus la peine ce serait de trop
    juste merci

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  6. jamais essayé
    jamais eu envie et plein d'autres trucs "soit disant banal normal que tout le monde a fait ou a"

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  7. Moi j'ai fumé, très occasionnellement. Quasiment jamais acheté. J'ai arrêté le jour où, dans la rue, j'ai eu l'impression que chaque personne que je croisais allait me sauter à la gorge.
    Je ne sais pas comment je réagirai si un jour ma douce s'y met.

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  8. moi j'ai fumé souvent mais jamais pour "enfumer" ma réalité : je fumais toujours avec des copains, jamais seule parce que je n'y voyait aucun interet exactement comme je ne bois jamais d'alcool seule meme à table. Je fumais avant d'aller au ciné ou au concert parce que les sensations ressenties grâce au film ou à la musique étaient encore meilleures. Je fumais avec les copains le samedi soir sur la plage et on pouvait rire crier chanter ou pleurer à tue tête comme quand on a bu quelques verres et qu'on est paf.

    Je serais aujourd'hui très vite complètement rincée si je fumais la même quantité qu'il y a 25 ans vu le taux de THC que contiennent les joints de maintenant. Alors oui je suis d'accord Coline, il n'y a pas de drogue douce.

    Aucun de mes copains de l'époque n'a dérapé vers d'autres drogues et tous ont sans doute cessé de fumer autre chose que la drogue légale à 6 € le paquet. Nous étions de petits fumeurs et nous avons eu de la chance.

    Un autre ami fume aussi depuis ses 17 ans, beaucoup souvent et régulièrement. A 50 ans il fait une sacré dépression qui parfois l'empêche de sortir de chez lui.... coincidence ?

    Ma fille a 16 ans et elle va être ou a déjà été en contact avec la drogue : est ce que le fait que j'en ai consommé va m'aider pour la protéger ? je ne sais pas

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  9. Coline, je viens de chez Caroline, et j'avoue être très émue par ton texte sur ton fils. Courage, confiance et lucidité.
    Bravo et surtout tiens-toi droite, ne lâche rien !

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  10. Je découvre ce blog via un commentaire que vous avez laissé sur Pensées de Caro. Je dévore vos articles. Celui-ci me touche plus particulièrement ... Je vous embrasse, très fort.

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