Il touchait le fond.
Depuis quelques jours, vraiment, c'était devenu trop difficile de continuer à vivre.
Il se sentait oppressé en permanence, un poids terrible sur sa poitrine. Avec les années, il pensait s'y être habitué. Mais il n'était pas né ici lui, et chacun de ses pas nécessitait un effort considérable, alors que les autres semblaient glisser dans l'onde.
Il se souvenait que petit, il faisait un rêve récurrent. Il tombait du haut d'un gratte-ciel. La chute était vertigineuse, à peine le temps d'être horrifié. Et puis soudain, dans un réflexe ridicule, il se mettait à nager la brasse, rencontrait la résistance de l'air. La chute s'interrompait, la peur s'évanouissait, il était sauvé et finissait immanquablement par nager longtemps et sans crainte dans l'azur accueillant.
Mais depuis qu'il était arrivé là, il ne rêvait plus.
Il dormait peu.
En fait, il avait toujours peur de mourir noyé dans son sommeil.
Il ne nageait plus non plus. Ça ne se faisait pas, c'était même assez mal vu. Tout le monde marchait sur ses deux jambes, c'était le signe. Le signe qu'on était encore humain malgré les circonstances.
Ça n'était pas nécessaire, franchement.
Parfois, il se rappelait l'eau bleu vert des lacs et le ballet des vagues sur la grève des plages, les embruns et le fouet des tempêtes sur le quai, le goût du soleil salé sur la peau. Un jour qu'il était en plongée au large, le vent s'était levé. Il s'était senti doucement bercé entre deux eaux, comme un fœtus par le pas de sa mère.
Il ne restait que le sel.
On avait oublié jusqu'au souvenir de la houle et de la lumière.
Pas d'aube, et pas de crépuscule.
Ce matin là -mais était-ce un matin ?- il avait parlé avec son voisin, il n'aurait su dire exactement de quoi. Pas du temps qu'il faisait en tout cas., ah ah ! Personne ne savait plus ce qu'était la météo. Et ce type, habituellement un peu limité dans ses propos, avait soudain glissé cette phrase dans la conversation :
"Il faut suivre le cours naturel des choses".
C'était si clair, si évident.
Il s'arrêta devant le bar, hésita à peine, commanda une bouteille de vin, repoussa le verre. "Je vais le boire dehors."
"Heu, vous êtes sûr, dit le barman ? Plutôt chez vous non ? "
Il ne répondit pas.
A peine passé la porte, il décapsula le flacon.
Immédiatement, le vin s'échappa, comme un filet de sang clair.
Suivre le cours naturel des choses ?
Il lâcha prise, mais pas la bouteille.
Ses pieds quittèrent le sable, il ne quittait pas des yeux le mince filet rouge qui commençait à se diluer, mais qui restait bien visible.
Suivre le cours naturel des choses.
Il montait toujours quand il aperçut la lumière. Elle l'appelait, et ses jambes se mirent à battre plus vite.
Son cœur s'apaisait pourtant.
Il apercevait maintenant ce qui devait être la surface.
Et soudain, il y eut ce moment incroyable où il sortit la tête hors de l'eau.
Il aspira l'air d'un coup, cracha un peu, puis se contraint à respirer calmement.
Le soleil était toujours là, comme dans son souvenir.
Devant, derrière, partout l'eau vert noir.
Profonde.
"Je suis chez moi".
Solide, libre.
Et seul avec sa bouteille vide.
superbe
RépondreSupprimerbravo
et merci de m'avoir permis de revoir cette vidéo vue y a qq mois