Il n'est donc plus possible d'aller voir sa femme et son bébé à la maternité,
d'accompagner un proche vers la fin,
ou d'aller consulter en établissement de soins
si l'on n'est pas vacciné,
ou si l'on n'a pas les sous pour se faire tester toutes les 24 heures.
Le prix de la pression à accomplir une démarche non obligatoire (pourquoi d'ailleurs ?),
en plus de favoriser la fraude de ceux qui se sentent pris à la gorge,
c'est la perte de la joie de vivre et de notre humanité.
Et un clivage terrible,
fondé sur des jugements réciproques,
aussi stériles qu'insupportables.
Comme si la lutte des classes ne se suffisait pas à elle-même.
J'étais là, perdue dans mes réflexions sur les moutons/collabos/traîtres vs les criminels/inconscients/égoïstes, quand j'ai engagé Berlingo chéri (neuf...) dans une ruelle de Nevers, interdite sauf aux riverains.
Une partie de mon cerveau de mouton a allumé la sirène d'alarme, tandis que ma cervelle de rebelle haussait les épaules : si ça passe pour les riverains, ça passera pour moi.
J'étais distraite, j'étais pressée, j'ai donc fait la connerie de l'année : y aller franchement, alors que c'était ... tout simplement interdit !
Jusqu'aux premières bornes de pierre -il y en a partout dans la vieille cité neversoise- assez habilement négociées, sauf pour la jante avant gauche,.
Et me voilà arrivée à la sortie, victoire !
Gloups ! Non ma fille, pas du tout !
D'abord, les bornes de pierres sont ici surdimensionnées.
Il doit rester comme deux centimètres d'aisance...
Et surtout, il y a une vicieuse petite butée, que mes roues, mêmes bien droites, n'arrivent pas à franchir sans déraper.
Me voilà bien coincée, entre ma peur et ma bêtise, je ne sortirai manifestement pas de cette rue.
Je ne saurai pas non reculer jusqu'à mon point de départ. J'ai, du reste, rabattu mes rétroviseurs qui frôlaient l'entonnoir de ciment des murailles.
Un monsieur sympa essaie de me guider, l'embrayage chauffe.
Dans deux minutes je pleure et j'appelle l'assistance.
Je ne peux même pas sortir du véhicule, les portières sont trop proches des murs.
C'est là qu'arrive, tadam ! Le chevalier blanc !
Un couple passe, lui évalue rapidement la situation :
"- Vous ne passerez pas, reculez plutôt !
- Je n'y arriverai pas.
- Vous voulez que je prenne le volant ?
- Oui je veux bien."
Avec ce grand type là, on ne s'est pas demandé notre statut vaccinal. On n'a pas mis de masque.
Il ne m'a pas reproché ma stupide imprudence.
Il a grimpé de la borne sur le capot de ma voiture, où il est souplement entré par la fenêtre pendant que je changeais de siège.
Il a dit : "ne paniquez pas, tout va bien."
J'ai fermé les yeux, et prié silencieusement pour qu'il me sorte de ce merdier.
Sa compagne, et l'autre monsieur, mon premier supporter, l'ont patiemment guidé jusqu'au bout de la loooooooongue ruelle.
Il a remis la voiture dans la bonne direction.
"- Vous êtes policier ?
- Non.
- Pas de souci vous savez ! Pénitentiaire, impôts, vous êtes le bienvenu, croyez-moi !
- Non, non, je suis un simple cuisinier."
Sportif, calme, courageux, patient.
A mon avis, il a raté sa vocation.
Et moi, quand ils sont tous les trois repartis tranquillement, j'avais retrouvé foi dans cette fraternité coopérante qui fait de nous ce que nous sommes.
Qui tend la main pour te tirer d'un mauvais pas.
Capables du pire, oui, mais surtout du meilleur.
Et sans jugement inutile.
Photo d'une autre rue de Nevers, prise sur le blog "LE VOYAGE DE JéNORME"
Non, j'avais quand même pas pris cette rue là...
J'en profite pour remercier ici Barbara,
qui ne partage pas mon point de vue sur la gestion de la crise sanitaire,
mais qui reste fidèle, humaine et aimante, dans ses messages comme ses commentaires.
Et ça, vraiment, c'est le cadeau inestimable de cette situation affreuse : on voit le vrai visage de chacun...