dimanche 9 novembre 2008

Mâle d'école

Debout près du pupitre, elle ose à peine respirer. Ça fait comme une boule là, au creux de l'estomac. C'est comme un vide, ou un trop plein. Au bord de la nausée, elle attend. Comme les autres. Il entre, les regarde. Elle le sent, parce qu'elle a les yeux baissés. Si son regard ne croise pas le sien, peut-être qu'il ne la verra pas ? Il les domine de son aigreur, sa rancœur autoritaire les submerge.
Il frappe dans ses mains, la tension se rompt brusquement, comme une bulle, une respiration. Ils s'assoient et le calvaire commence.
Elle sent la peur se propager en filets ruisselants, le longs de tous ses membres. Cette fois, non, elle ne pleurera pas. Elle s'applique, mais ses doigts pas encore finis de gamine se crispent sur le stylo, l'écriture n'est pas aussi déliée qu'elle le souhaiterait. Elle souligne du mieux qu'elle peut. Peut-être qu'aujourd'hui elle échappera à la page arrachée.
Il se lève, passe dans l'allée, elle peut sentir son odeur. Il s'arrête, un regard de côté, non faites qu'il ne se tourne pas vers moi. Le regard balaye impitoyablement la page de son cahier, mais il ne s'arrête pas. Pas sur elle.
Un grondement, un cri bref, la tête de son voisin s'abat brutalement sur le pupitre, face écrasée dans l'encre bleue, nuque enserrée dans une main impitoyable. Dans un flash, elle revoit la longue main d'une maîtresse de l'an dernier. Elle portait de grosses bagues multicolores. Des mains douces, qui soignaient les bobos dans la cour, et réparaient les petites bêtises dans les cahiers. Des mains qui déchiraient soigneusement la page ratée pour la recoller un peu plus loin. Des mains rigolotes aussi, quand elles montraient comment dessiner un hérisson, un canard ou un ours. Mais ces mains là sont parties et celles du maître sont revenues.
Ses parents se sont bien doutés de quelque chose. Elle avait retrouvé le sourire, elle chantait. Jusqu'à ce que la main d'acier reprenne le pouvoir dans la classe. Mais quand ils sont venus voir le maître, il leur a bien fait comprendre que c'était elle le problème, et pas lui. Et ils l'ont cru. Parce que déjà, petits, dans cette même école, ils avaient eu ce maître là. Oui, bien sûr ses parents savaient. Ils n'avaient pas pu oublier la brosse à tableau projetée à la tête de celui qui parlait, les bouts de craies qui volaient. Forcément, ils se souvenaient. Et forcément ils avaient encore peur. Pour elle. Alors ils avaient fait semblant.
Elle les avait trouvés si petits, son père assis à son pupitre, la tête baissée comme un vilain garnement pris en faute. Maman était blanche, presque transparente. En sortant, après avoir passé la porte, ils avaient un peu redressé la tête, et chacun avait saisi une de ses mains. Ils étaient partis sans se retourner.
Le soir maman avait fait des crêpes. Pour se faire pardonner sûrement. Il était tard pourtant, les devoirs avaient duré plus d'une heure.
Mais ils l'ont laissée dans l'école. Avec lui.
A côté d'elle son voisin s'est remis au travail : il recopie la page finalement arrachée. Le maître est retourné à son bureau. Il attend : il va bientôt prendre son poste de caissier au supermarché du savoir. Un à un, en silence, les élèves se lèvent pour faire corriger leur cahier. Pour se faire corriger.
Six heures c'est bien long quand on a peur...

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