Je viens le voir chaque jour maintenant. Son état se dégrade rapidement et quand je suis arrivée ce soir, il m'a accueillie avec ce terrible sourire livide sur son visage cireux. J'ai eu un peu peur, parce qu'on ne s'est pas encore tout dit. Mais finalement on n'a presque pas eu besoin de parler. Je me suis allongée à côté de lui, en fermant les yeux. Tout d'un coup j'ai senti la caresse d'une plume sur mon visage. C'était sa main. Il en a exploré tous les contours, avant de descendre un peu plus bas, le long du cou, et de mes épaules dénudées par la robe d'été. Il a dit « c'est doux, c'est chaud », et puis il s'est affaissé en arrière. C'est un cadeau qui a dû lui coûter une énergie folle.
Je me sentais bien, même avec cette odeur de mort qu'on sent rôder. Je suis restée avec lui jusqu'à ce qu'il s'endorme. En sortant j'ai croisé l'infirmière du fauteuil. Elle m'a fait un petit signe de tête, avant de continuer son chemin, puis elle s'est ravisée :
« - Vous êtes de sa famille ?
- Non. Une amie seulement.
- Mais vous venez le voir chaque jour. Vous êtes la seule. Il est beaucoup plus serein quand il vous a vu. Est-ce que vous resterez jusqu'au bout ?
- Oui. »
Elle a eu l'air soulagé.
***
Ce matin, quand le médecin est passé, il est resté silencieux presque tout le temps. Il essayait d'être comme d'habitude, sans être très convaincant. Puis je l'ai entendu discuter à voix basse avec l'infirmière. Je n'ai plus même la force de parler maintenant, mais j'ai puisé dans mes dernières ressources pour dire non. Non, je ne veux pas que vous appeliez mes parents. Et puis dites-moi maintenant, je veux savoir, j'ai le droit de savoir.
Je suis retombé sur l'oreiller, épuisé. Il s'est rapproché, en gardant un peu de distance malgré tout et en évitant mon regard. Il y a des médecins qui auraient mieux fait d'être garagistes, ils ne sont vraiment pas à l'aise avec les têtes qui surplombent inévitablement les corps.
« - Vous n'en avez plus que pour quelques heures. Ce sera bientôt terminé. Vous voulez appeler quelqu'un en particulier ? »
J'ai fait non de la tête. J'avais le moral en berne.
Maintenant je me sens gagné par la colère, une vague d'impuissance qui me submerge. Non, pas maintenant, c'est trop tôt. Je ne veux pas. Qui me pleurera ?
Et puis en même temps, je me sens comme quand les vacances se terminent et que, puisqu'on ne peut pas rester, on voudrait être rentré tout de suite à la maison au lieu de profiter tranquillement de chaque changement de paysage pendant le voyage du retour.
Heureusement la voilà, et la chambre s'éclaire de sa lumière.
J'aime quand elle me berce.
C'était en Guadeloupe, pendant le dernier voyage avec Étienne, quand il ne se savait pas encore qu'il était malade. Nous avons fait de la plongée sous-marine. Pendant une sortie en mer, la houle s'est levée, noyant l'océan sous le gris et l'écume. Mais c'était la fin des vacances et nous voulions profiter de chaque instant, nous avons plongé quand même. À la surface c'était le chaos, l'eau nous giflait, un type près de moi a même vomi dans son détendeur, et je jure que je n'ai jamais palmé aussi vite de toute ma vie.
Mais une fois au fond, ce fut un enchantement. Ça tanguait juste assez pour nous sentir dodeliner agréablement et j'ai pensé que ça avait dû être comme ça dans le ventre de ma mère.
Quand elle me berce j'ai le même petit frisson. Je me sens touché.
Touché par sa voix aussi et la musique de ses mots. Quand elle me dit qu'elle est heureuse d'être venue s'asseoir sur ce banc, que je lui ai apporté en quelques heures des bonnes ondes pour toute sa vie. Elle me dit qu'elle m'aime et que, quand on a été vraiment ensemble, on ne se quitte jamais vraiment. Elle me dit toute sa gratitude, pour la confiance et pour les rires. Et aussi que je peux partir maintenant, parce que toujours il y aura quelqu'un pour se souvenir de ce qu'il y avait de bon en moi, même si elle sera triste bien sûr. Qu'il n'est plus nécessaire de continuer à souffrir, parce qu'elle se sent libre grâce à moi.
C'est vrai que je n'ai plus mal. Je ferme les yeux sur le sourire d'Étienne.
***
Et parce qu'ils avaient été touchés, parce qu'ils se sentaient aimés, ils basculèrent du bon côté.
Ils étaient en sécurité, il leur suffit de se laisser glisser.
Moi aussi je suis touchée...
RépondreSupprimerJe reste sans mot pour ce soir, mais je reviendrai te voir. Et te lire