Mais je ne lui en ai pas parlé.
Je vais devoir annoncer à ma mère que je pars.
Il faut que je dise une chose indicible déjà :
ma mère, en tant que mère maternante et protectrice,
confidente et référente,
cette mère là est morte quand j'avais onze ans,
dans un accident de voiture qui l'avait laissée un mois dans la coma.
Les dix années suivantes,
j'ai appris à détester le futur :
chaque fois que j'envisageais de faire quelque chose,
de m'inscrire dans une assoc,
de vivre un peu quoi,
mon père me disait :
"quand votre mère sera guérie".
Elle a jamais guéri.
Jamais nous n'avons retrouvé cette femme explosive,
pleine de vie,
d'une jalousie infernale,
mais tellement attentive à ses enfants.
Mon père a perdu sa compagne,
nous notre maman.
Et moi j'ai pris sa place,
comme j'ai pu,
et en commettant beaucoup d'erreurs.
C'est pas ben facile d'être adulte à 11 ans.
Je sais pas pourquoi je boudais sur cette photo,
c'était un mois avant de la perdre ...
Je vous passe la souffrance de ces années,
cette solitude extrême,
le handicap étant particulièrement contagieux comme chacun sait,
l'enfance brisée,
et cet effarement de petite fille devant une maman devenue un monstre,
qui faisait des choses monstrueuses,
avec lesquelles on restait seul dans notre douleur.
C'était pas le temps des cellules psychologiques...
Un jour, elle a disparu,
elle s'est sauvée avec un type,
un pervers,
je ne m'étendrais pas sur le sujet,
mais autant le dire :
ce fut un soulagement.
Je l'ai retrouvée à plus de 30 ans,
grâce à une assistante sociale.
J'étais enceinte de Franzouski.
Il m'a fallu de nombreuses années pour intégrer qu'elle est toujours vivante.
Pour accepter la douleur de la voir,
telle qu'elle est,
le visage et le corps déformés,
l'esprit qui disjoncte,
à peine dix minutes de conversation familiale
puis la boucle,
mais
aussi ce truc qu'elle m'a transmis :
une dépression latente permanente contrebalancée par une indéfectible joie de vivre,
celle qui nous empêche de mettre fin à nos jours aux heures les plus sombres,
celle qu'on partage avec les autres quand on perçoit que leur souffrance est plus terrible que la nôtre.
Il m'a fallu de nombreuses années pour faire accepter à mon père que je n'avais pas à choisir entre l'un et l'autre au motif que c'était trop dur pour lui.
Il m'a fallu des années, et la mort de notre père, pour renouer la communication avec mon frère,
dont je reste persuadée que, sans l'admettre, il a été aussi profondément blessé que moi,
et que me voir, c'est comme rouvrir une plaie béante mal cicatrisée.
Oui parce qu'en plus, je lui ressemble trait pour trait.
Quand les boys seront à Limoges,
ils seront à deux heures de route de la maison de retraite
(pour environ 10 minutes de conversation et un repas ou un goûter), puis deux heures retour.
Et ils devront se gérer eux-mêmes.
J'ai pas trop envie de leur laisser la responsabilité de leur grand-mère,
très bien prise en charge par ailleurs,
en sécurité affective et physique au sein d'une des meilleurs maisons de retraite de la Creuse
(avec des activités même le dimanche...)
Je suis donc allée voir la tutrice pour lui dire déjà que le nouveau référent ce serait mon frère,
que personne ne se souvient d'avoir vu ici...
Puis je me suis tourmentée, et encore plus depuis que la réponse est tombée.
La rapatrier sur la Haute-Vienne ? C'est très risqué, les établissements peuvent être le pire et le meilleur, j'ai pas le temps d'enquêter.
Su Guéret ? Un centre super, mais qui n'accepte pas l'aide sociale, et une grosse usine très moderne, très impersonnelle, et très inappropriée.
Alors ce matin,
j'ai écrit à mon frère.
Parce que j'ai tout assumé jusqu'à maintenant,
et que j'ai atteint les limites de mon sens du sacrifice.
Parce qu'il est temps aussi qu'elle voit ses autres petits enfants.
Mais j'ai rien dit de tout ça.
J'ai juste expliqué que je pars,
que je lui passe le relais
et que le mieux, ce serait qu'elle vienne dans sa région à lui maintenant,
après qu'il ait trouvé un établissement sur place.
Il n'a pas dit non.
Je vais maintenant lui demander son avis à elle,
car il me semble que c'est à elle de décider,
pis on verra.
merci pour ces mots
RépondreSupprimerbien plus que des mots d'ailleurs
intenses
que de pierres
RépondreSupprimersur ton chemin et oui
toujours la force d'avancer repartir te battre rebondir
ta Louisiane tu l'as méritée
je suis certaine qu'elle va apporter beaucoup
en plus dans ton sac
Oui, comme le dit Barbara, tu l'as bien méritée ta Louisiane !
RépondreSupprimerBises
Pax
Je ne peux dire autre chose... Tu l'as vraiment méritée la Louisiane. Ton frère n'a pas dit non, ça veut dire que tu dois partir
RépondreSupprimer... et puis "la vie est bien bien trop courte pour se faire des misères..." (Chanson dans le post suivant) ;)
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RépondreSupprimerComme tes mots me touchent !
J'en ai les larmes aux yeux.
Tu as bien le droit de vivre pour toi, de passer le relai, surtout que ta maman ne se retrouve pas seule et vit dans un cadre bienveillant.
Bonjour Coline, je suis arrivée ici un jour par hasard (à moins que ?). Et puis j'y suis revenue, de plus en plus souvent.
RépondreSupprimerMagie étrange de ce mode de communication, on s'attache à une inconnue qui semble l'être de moins en moins.
Je te souhaite à Lafayette toutes les joies du quotidien et quelques autres ;-)
Le départ, les enfants, les parents, les souvenirs, tout cela me parle comme on dit sans réfléchir, à moins qu'il ne s'agisse de cette petite voix intérieure à laquelle je n'ai jamais regretté de m'être fiée...
Je reviendrais toujours avec plaisir même si discrètement - et en plus la Louisiane, même par procuration, c'est un beau voyage rêvé ;-)
Merci Axel
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