mercredi 1 mai 2019

Colette, ma sœur


Tu es Colette, mais tu n'as pas été baptisée.
Tu es née sans vie le 14 octobre 1959.
Mais tu existais déjà pour eux.
Maman pensait que ta mort était la punition de son péché.
Mais tu étais l'innocence.
Elle a eu tant de chagrin.
Et j'ai été conçue pour te remplacer.
Repose dans la paix des anges ma sœur.
Il est tant de nous séparer toi et moi.
Et il est tant que vous soyez de nouveau ensemble.



C'est toute une histoire.
Très emmêlée. Elle, Colette, enterrée quelque part.
Et moi Nicole, née pour consoler, née pour remplacer,
qui pressens que je doive retrouver sa tombe, pour lui rendre sa juste place.

Je m'apprête à arpenter les allées du cimetière chrétien d'Oran, en me fiant aux informations de ma tante.
Et puis le soir, dans ma chambre, j'examine le livret de démobilisation de mon père.
Et je vois qu'au 22 octobre 1959, ils vivaient rue de l'Esplanade à Mostaganem.
Pas à Oran.
Alors je regarde de plus près le livret de famille.
Et je vois que l'acte de décès anonyme du 14 octobre porte le sceau de la mairie de Mostaganem.
C'est à une heure d'Oran.
Tramway, taxi collectif. Le paysage défile.
A la mairie de Mosta, je demande où se trouve la rue de l'esplanade.
Personne ne sait vraiment, un monsieur suppose que c'est celle qui arrivait à la mairie.
Et le cimetière chrétien ?
Il va chercher Tayeb.
Tayeb connaît tous les cimetières chrétiens de la wilaya, il travaille avec des associations de rapatriés.
Mais il y en a un seule dans Mostaganem même.

Il me montre le chemin de Beymouth, c'est tout près.
C'est forcément celui-ci, puisque ma mère y allait tous les jours.

"- Tu veux que je t'accompagne ?
- Non, ça va.
- Attends, j'appelle le gardien... Ah, il n'est pas là, mais sa sœur dit qu'elle t'attend."

Je marche jusque là.
J'ouvre le portail.


Hasnia m'accueille avec ses deux autres sœurs.
Elles logent, avec leur frère, dans la maison du gardien.
Et elles entretiennent les lieux gratuitement.
Juste parce qu'elles voient venir ici quelques personnes comme moi, et qu'elles veulent aider, pour le respect et le souvenir.

"Mon frère n'est pas là, il travaille sur des chantiers pour gagner un peu.
Viens, je vais te montrer les carrés des bébés, c'est par là."


On fouille toutes les deux, mais je me dis que c'est peine perdue. Une tombe probablement sans nom.
Et puis un homme surgit, un classeur d'école à la main.
C'est le frère d'Hasnia, elle l'a appelé, il est revenu exprès de son chantier.
Il tourne les feuilles seyès, soigneusement recopiées à la main, je ne sais pas par qui.

1959
Je lis les noms de mes parents, l'allée, la rangée...
Il sait avec certitude que c'est celle-ci.


Un petit rectangle en friche, sans dalle, sans nom.
Elle y venait tous les jours oui, et papa la retrouvait en train de gratter la terre avec ses ongles.
Alors il a dit : "il faut en faire un autre".
Et je suis venue.

A ce moment j'ai su ce qu'il fallait faire.
Lui donner son nom, reconnaître sa brève existence, et l'empreinte laissée dans le cœur de mes parents.
Cesser de l'appeler "un bébé né sans vie un an avant moi", en la reconnaissant comme ma sœur Colette.

J'aurais voulu répandre ici les cendres de notre mère,
mais mon frère ne me les avait pas envoyées.
J'ai trouvé, un peu enterrée, une pierre plate triangulaire.
J'ai écrit ces quelques lignes, ajouté la photo de mes parents,
et posé ce caillou apporté de France, que j'avais investi de mes pensées et de mon amour,
depuis quelques semaines déjà.
J'ai pleuré longtemps.
Tout ce chagrin qui ne m'appartient pas.
Ce deuil porté malgré moi, vécu à travers moi.

Et puis je suis partie chercher cette rue de l'esplanade, qui n'est finalement pas celle de la mairie.
Ce sont les frères maristes de Mostaganem qui m'ont aidée à trouver.
Ils ont un tas d'archives incroyables.
C'est asteure la rue Belahouel Belahouel, en haut des marches, près du marché couvert.



Et j'ai encore eu de la chance, parce qu'il y avait l'ancienne plaque, et mème les numéros.
Je ne me suis pas sentie émue comme quand j'avais retrouvé ma rue à moi.
Juste une forme de légèreté.
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Maintenant PimJ, je connais pourquoi j'arrivais JAMAIS à retenir le nom de ta rue...
C'est certain qu'il fallait que mon voyage commence chez toi...







9 commentaires:

  1. très émouvant
    alors pour toi
    j'imagine même pas

    c'est bien que tu ais pu y aller
    que tu ais trouvé avec l'aide de personnes attentives et attentionnées

    pour elle pour tes parents pour Toi

    une nouvelle page se tourne
    non
    s'ouvre désormais
    je t'embrasse

    fort

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  2. Merci de nous partager ici ton histoire.
    On suit ton cheminement en pointillé, et l'écho que tu nous laisses ici laisse deviner à quel point c'est émouvant pour toi.
    Retrouver ses racines, en croisant des belles âmes en chemin, c'est salutaire pour n'importe qui, mais beaucoup pour toi, je crois.
    J'éspère que cela te remue, mais de manière bénéfique.
    Marjorie

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  3. Un bel exemple de psychogénéalogie, combien pèsent sur nos épaules les chagrins familiaux et les secrets. Je suis aussi fascinée par la façon dont l'univers vous a aidée à partir du moment où vous avez décidé de partir sur le chemin de vos origines. Et à le fin se trouve la libération ��

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  4. Ni/col/ette/ine, la collision de ces prénoms me parle : il y a forcément une part de votre soeur qui vous constitue. Votre cheminement en Algérie et dans le passé de votre famille est différent de celui de Saint Jacques, mais c'est sans doute la même quête et la même soif de vérité qui l'anime.
    Votre histoire est très émouvante, merci pour ce partage intime.

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  5. plein de bisous et de pensées pour t'accompagner

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  6. Chère Coline, voilà longtemps que je n'étais pas venue vous lire et je viens de rattraper quelques mois de retard. Cela me touche de découvrir tout ce que vous avez vécu et le chemin que vous avez parcouru. Et je ne peux m'empêcher d'être frappée par ces dates : votre soeur Colette, née et morte en 1959, et votre enfant né et mort 40 ans plus tard, en 1999. Je trouve réconfortant de vous lire et de vous voir tracer votre route en apprenant à vous aimer.

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  7. Je viens de voir ce commentaire. Et je n'avais jamais fait ce parallèle...Merci Emilie, ce sont les fils qui se tissent...

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