Alors voilà : depuis un an que je suis en Bretagne, j'ai perdu tous mes anciens repères. Et progressivement, après presque quatre années de stabilité heureuse, j'ai pris du poids. Oh pas énormément, mais juste assez pour me sentir serrée, gênée, entravée.
Comme par ailleurs, j'ai tout repris à zéro pour une douleur persistante à la hanche, je me suis dit qu'il fallait régler ce souci, qui n'est pas la cause de mes maux, mais qui représente, tout simplement, une charge inutile supplémentaire. Ne pouvant hélas plus retrouver le giron de l'hôpital de Saint Pourçain où j'avais retrouvé la faim, le plaisir et l'envie, j'ai donc demandé de l'aide à mon médecin traitant, qui m'a orientée vers une consultation à l'hôpital de Lorient.
Il faut savoir que je suis de ces gros en bonne santé qui défient les pronostics. Certes, la douleur chronique exige une discipline physique pour le maintien de la mobilité. Néanmoins, à 63 ans, je n'ai ni diabète, ni cholestérol, ma tension est parfaite et je ne prends aucun traitement, à part un peu de magnésium et de radis noir de temps en temps. On est donc loin de l'obésité létale qui appellerait des solutions lourdes.
Par ailleurs, quarante années d'errance alimentaires, de restriction cognitive entre crises de boulimie et diètes de toutes sortes, ayant fait de moi l'obèse que je suis, il ne saurait, une seule seconde, être question de recommencer quoi que ce soit qui ressemblerait à un régime, même "équilibré". Le moindre "plan", la moindre tentative de me restreindre déclenche inéluctablement des compulsions alimentaires aussi douloureuses que contre-productives. Le cerveau est puissant. Et très malin. Impossible de se contraindre toute une vie, sans mettre en jeu l'un de ses réflexes de survie : le stockage...
Je suis donc allée à cette consultation de nutrition hospitalière, pensant, naïvement, qu'ici, comme ailleurs, les pratiques ont certainement évolué. Eh bien que nenni !
Après avoir brièvement exposé mon long parcours et la délivrance, j'ai conclu en disant qu'il était inutile de refaire encore et encore plus de ce qui ne marche pas, et que je ne venais pas pour qu'on m'imprime des menus avec 200 g de légumes et 100 g de viande. Déjà que les vieux démons refont rapidement surface. Ma demande était claire : être remise gentiment sur le chemin de l'alimentation intuitive.
J'ai senti le désarroi de la jeune femme face à moi.
Alors elle m'a proposé une alternative :
" - Vous avez moins de 65 ans, vous pouvez encore avoir recours à la sleeve (opération irréversible d'ablation d'une partie de l'estomac).
- Certainement pas ! Ce n'est pas une option et c'est même une double peine. Je vous explique que je suis parfois dissociée de mon corps, à cause d'un viol dans l'enfance, et vous me proposez une mutilation ...
- Pour vous c'est une mutilation ?
- Ce n'est pas comme cela que l'on désigne l'ablation d'un organe sain ?"
Elle n'a pas insisté et m'a proposé sa botte secrète : le médicament miracle.
Oui, miracle, c'est le mot qu'elle a employé.
L'Ozempic, le Wegovy, le Saxenda, tous produits par le laboratoire Novo Nordisk, sont des imitateurs d'une hormone gastro-intestinale, prescrits depuis assez longtemps contre le diabète.
"- C'est un traitement très efficace. Une piqûre par semaine. Mais il est en rupture de stock, on nous a demandé de ne plus le prescrire à de nouveaux patients."
Personnellement je trouve cela très dommageable pour les diabétiques, surtout quand on sait que cette pénurie est due au mésusage, à grande échelle, du produit vanté à tous vents par les influenceuses. Mais, en quoi cela me concerne-t-il ?
"- On s'est aperçu qu'il est efficace aussi pour perdre du poids. Les personnes qui le prennent n'ont plus envie de manger.
- Euh mais moi je veux encore avoir envie de manger. Toute l'autorégulation repose là-dessus justement. Et puis, s'il ne peut pas être prescrit, à quoi ça sert ?
- Ah mais c'est que le laboratoire Novo Nordisk a le même produit en injection journalière, non remboursé."
Nous y voilà...
"- Alors écoutez, déjà l'expression "produit miracle", pour quelqu'un de ma génération qui a connu l'Isoméride, franchement c'est très inapproprié.
- Oh mais ce n'est pas pareil, on a du recul, il n'y a pas risques. En plus on obtient de très bons résultats sur les pathologies cardiovasculaires associées au diabète."
Au delà du fait que des pathologies cardiovasculaires et du diabète, je n'en ai pas, là, on est carrément dans le mensonge. Des risques, il y en a. De simples désordres gastro-intestinaux, à la pancréatite aigue, les troubles biliaires ou l'occlusion intestinale. Sans compter une suspicion sur les idées suicidaires et l'automutilation.
Tandis qu'elle tripotait la plaquette du laboratoire en récitant la leçon apprise dans leurs conférences, je ne me suis pas gênée pour lui porter l'estocade :
"Vous avez tout de même conscience que l'obésité est un marché j'espère ?"
Plus elle se dépêtrait en justifications diverses, plus son élocution devenait difficile. J'ai proposé qu'on en reste là, en acceptant poliment l'inscription à des ateliers thérapeutiques avec une diététicienne et une psychologue spécialisée dans les addictions.
Mais j'ai décliné quand ils m'ont appelée. Je n'irai pas : peut-on parler d'addiction pour la nourriture, une fonction nécessaire à la survie, contrairement aux écrans, au jeu, à l'alcool ou à la drogue ? Décidément...
Je suis sortie totalement désabusée de constater que, quarante-cinq ans après ma première consultation, on en soit toujours au même point.
Le point mort.
Édit : alors une petite précision sur le seul effet bénéfique de cette consultation : elle m'a permis de réaliser que, finalement, non, je ne suis pas au fond du désespoir. Pas suffisamment en tout cas pour accepter ces conneries.
Photo "les influenceuses et le produit miracle", prise sur le site "What's up doc"
nan mais fou ce discours
RépondreSupprimerinutile de détailler
mêmes réactions que les tiennes
mais tout le monde aura t il le cran, la force d'être lucide et lui répondre comme toi ....
c'était pas la bonne personne
j'espère que tu vas la trouver
soutien et compréhension +++++
Alors oui, heureusement, j'avais dans mon carnet, les coordonnées d'un médecin de ville, écrites par...ma podologue, encore elle ! Elle avait dit : "c'est votre plan B si ça ne va pas à l'hôpital" . Du coup je ne me suis pas pendue en sortant. 🙂
SupprimerCa me fait penser à la diététicienne que je suis allée voir, elle me proposait du muesli en "boîte" pour le matin et alors que je lui faisais remarquer qu'il y avait du sucre ajouté dedans, elle a vérifié et m'a dit "ha oui" ...
RépondreSupprimerAnne d'Alsace
🙃 Il y a des trucs en "ose" (fructose, dextrose, glucose...) dans quasiment toute la nourriture industrielle, y compris "bio". Il y a aussi cette mode (que j'ai bien sûr suivie..) du sirop d'agave et du sucre de coco, qui viennent de loin, sont chers et pas très bons pour les diabétiques. Bref je suis revenue au sucre d'ici et au miel...
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