Il y a, dans cette Bretagne des bois, une nette réminiscence de la honte d'être plouc.
Je ne sais pas pourquoi les Bretons passent pour être grincheux et mal aimables. Je ne connais pas toute la région, mais ici,
dans ce pays Pourleth, je n'ai rencontré que gentillesse et curiosité.
Personnellement, je n'ai jamais eu à essuyer de reproches en tant qu'envahisseuse. Il est vrai que je précise toujours que, n'ayant rien à faire en Bretagne, de moi-même je ne serais jamais venue m'exiler ici, loin de tout ce qui faisait un quotidien que j'appréciais. Il est vrai que j'ai suivi un Breton. Il est vrai que je m'intéresse vraiment à la culture au-delà des boîtes de gâteaux. Il est vrai que je danse et je chante breton.
Et que je porte un regard affectueux sur les bretonnismes qui envahissent leur parler, des erreurs intelligentes engendrées par la transposition de leur belle langue sobre, sonore et imagée, en galleg (en français).
Il se trouve que le parler Pourleth ne s'est pas totalement dissout dans la communication en français normatif. L'Argoat, ce n'est pas la côte, on s'y est moins mélangé, même s'ils sont nombreux à avoir travaillé à Paris. C'est l'épicentre des bretonnismes et de la voix bretonne, un peu dans le nez (à cause de la prononciation des voyelles et diphtongues), mais pas nazillarde non plus, avec un accent plus ou moins prononcé selon les terroirs.
Pour qui, comme moi, s'est toujours intéressé à son environnement linguistique, allemand, luxembourgeois, limousin, louisiannais, bourbonnais, l'oreille ne pique pas quand ils "envoient" (emmènent) leurs enfants avec eux, que les fils sont "en pendant" après la tempête, quand quelqu'un est resté (tombé) malade, éventuellement malade au lit (très grave), a pris ses louzous (médicaments, ça vient des herbes médicinales) quand il y a du reuze (du boucan), qu'ils sont autour de leur jardin (en train de jardiner) ou qu'ils proposent "un café vous aurez".
La langue, c'est le miel de l'esprit. Elle témoigne d'un regard sur le monde, de la place qu'on y occupe, de l'échelle des valeurs, elle met des mots sur les émotions, les concepts, sur ce qui compte ou pas.
Or, toute une génération a perdu sa langue, qu'elle ne retrouvera jamais vraiment, même avec la militance brezhoneg, même avec les écoles Diwan. Les gens de ma génération y ont été fortement exposés. Sauf s'ils étaient élevés par leur grand-mère totalement non francophone, tout leur entourage parlait breton, mais pas à eux. A eux on parlait un français croche, transposé du breton. Non ce n'est pas l'école qui a tué le breton. C'est le souci d'élévation sociale, la honte devant les cousins parisiens puis les touristes. Maintenant on enseigne le breton surunifié, normatif, qui contribue à fossoyer la belle musique des mots des anciens. C'est le prix à payer, une histoire un peu triste que j'ai déjà rencontrée en Louisiane.
Pourquoi je vous raconte cela ? C'est que je viens de passer trois jours avec une portée de Pourleth à vélo (je vis près de la Mecque du vélo). Les hommes ont pédalé jusqu'à Erquy (dans les Côtes d'Armor, 120 km), et sont revenus en pédalant aussi. Entre les deux, les femmes en voiture les ont rejoint pour manger, mobilhomer, rigoler et se promener. On perd tout repère diététique. Leur capacité à boire et à manger avant de se remettre en selle m'a impressionnée. Elle mériterait un post à elle seule...
A table, c'est drôle, les hommes se mettent ensemble et les femmes d'un autre côté. C'est à cause des conversations. Moi j'étais un peu au milieu, aimantée à mon cycliste. Il était très content d'être accompagné pour une fois.
Et donc, comme d'habitude, passé l'intérêt poli, est arrivé le moment où ils ont compris que ça m'intéresse bien tout ça. Que ce n'est pas la peine de faire genre. Et qu'est ressorti le breton. Oh, à petites doses. Mais on voit bien que c'est juste là, sur le bout de la langue. Quand est levée la peur de passer pour un plouc, les choses sérieuses commencent. Chacun est qui il est, comme il est.
Le dernier soir, au retour à la maison, on a tous dîné d'omelette, de lard, de frites et de salade, dans la ferme retapée d'un des cyclistes. Çа a trop bu c'est sûr, trop mangé, parlé trop fort.
Ne ket fall ! (Le k se prononce tcheu par ici.) Traduire par "c'est pas mauvais". Qu'on comprendrait comme c'est super génial. Quand je vous dis que le breton est sobre (en paroles n'est-ce pas, parce que sur la lagoutte ou la lodevi... c'est une autre histoire, celle des bonbons kredans, les bonbons de l'armoire, les cerises à l'eau de vie).
Le dimanche matin, randonnée des plages sauvages jusqu'au port d'Erquy
Vue sur Fort La Latte depuis le Cap Fréhel
Cap Fréhel
Fort La Latte
Au retour, avec les femmes, détour par l'abbaye de Bon repos.
Puis par les Forges des Salles, où a été tourné le récent film Rosalie (la femme à barbe)
Pêle-mêle, des paysages, j'ai retenu les bancs de brumes soudainement dissipés, d'où émerge la silhouette du fort La Latte. On est dans un nuage, et, soudainement c'est la soleil. Depuis le cap Fréhel, c'est comme un château voguant sur des terres fantastiques, peuplées de fées, de sirènes, de géants et de korrigans.
En grimpant sur le talus d'enceinte du fort, le regard saisit l'immensité bleue, à peine ridée par un zéphyr égaré. Un écrin pour les rochers émergés, un velours qui vient s'alanguir au pied des falaises déchiquetées, de noir, de rose et de ce vert printanier qui enchante et éblouit le regard.
Parfois c'est une nappe de lande nue jetée sur les pierres, qui ondoie en pans de vert anglais, de malachite, de Véronèse et d'amande. Soudain, sur un nouveau versant, la bruyère se mêle aux genêts déjà fleuris. Que le soleil se montre, dans un moment de grâce, la chaleur fait embaumer tout le landier
superbe article
RépondreSupprimersuperbes mots
superbe ambiance
superbes photos
et je ne sais pas où tu as entendu cette "réputation "j'ai entendu l'inverse moi !
(très accueillants=)) et d'ailleurs j'ai trouvé les gens simple ouverts charmants lorsque j'y suis allée (pas assez ;je rêve de retourner dans cette belle Bretagne aux bretons passionnants)
merci
C'est passionnant tout ce que tu racontes ! C'est vrai que tu as eu l'occasion de te pencher aussi sur ces évolutions linguistiques en Louisiane.
RépondreSupprimer@Emilie : oui il y a beaucoup de similitudes.
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