mardi 30 avril 2019

Wahran Wahran

Oran ne se décrit pas.
Elle se vit.
Comme un port antique, comme une réminiscence des boulevards haussmanniens, qui hésite en ruines et développement.
Comme une ville historique, parsemée de fortins, de portes de pierres, de traces de France...constellées d'antennes paraboliques.
Comme un morceau de cette Algérie à la fois effervescente, immobile et délabrée.
Mais où jamais la peau nue des bras ou des jambes ne voit le soleil.
Comme une fête de la musique, avec ses soirées raï sur la corniche, et dont je n'ai pas profité, car une femme seule, la nuit.
Comme des rues sans règles, où conduire est un exploit...




la gare

J'y ai déambulé des heures et je l'ai vraiment aimée.
Les Algériens, pas du tout habitués au tourisme, sont aidants et gentils.
Avec un petit revers amer : ce sous-entendu permanent qu'il ne faut pas aller ici ou là, que c'est dangereux... certains hommes en particuliers ont une manière de se poser en protecteur, hors du champ desquels il ne faut ni prendre un taxi (par ailleurs honnêtes et bon marché), ni se promener (un seul endroit qui craint vraiment, comme dans toutes les villes), ni faire ceci ou cela.
Et du coup, ils t'accompagnent, mais c'est plus vraiment toi qui décide où tu vas et ce que tu fais.










Je vais être franche : j'ai passé 10 jours fantastiques et fait des rencontres extraordinaires, mais quand je suis rentrée jeudi soir,
j'étais contente de rentrer au pays où le printemps a surgi en costume vert, et où les femmes en cheveux peuvent marcher seules la nuit sans être constamment emmerdées....










mardi 16 avril 2019

Sérendipité


Je suis hébergée  là, une petite chambre propre et simple...


 dans une petite hôtellerie catholique
derrière l'évêché,
où a été célébrée dimanche la messe des Rameaux.


En me promenant en ville,
j'ai découvert une petite église bien cachée (révélée par le libraire à qui j'ai acheté un plan papier, denrée très rare dans ce pays peu touristique).
C'était chez les petites sœurs de Jésus.
Une bonne partie de la chapelle a été transformée en bibliothèque.



La sœur catalane me parle de l'émotion des personnes qui reviennent ici où elles ont été baptisées (c'est une des plus anciennes églises d'Oran).
Je lui montre alors le tampon de mon baptême sur mon livret de famille.
Elle regarde et elle dit :
"Mais...c'est là où vous logez !".

Et en effet, ce qui sert d'accueil asteure, c'est là où j'ai été baptisée.



Je comprends pourquoi j'arrêtais pas de pleurer depuis mon arrivée...
Et comme c'est dans la même enceinte que se trouvent les archives, ce matin j'ai retrouvé le registre où est porté mon baptême (juste avant le filleul de Marcel Cerdan...)

La mémoire des sens

Quand je suis passée devant, cet immeuble m'a appelée.


Le soir, en lisant plus attentivement le livret de démobilisation de mon père,
j'ai pour la première fois remarqué les adresses successives.
Ma tante avait tout faux, ma sœur n'est pas née à Oran, et mes parents ne vivaient pas à Heckmull...
J'ai retrouvé le 17 rue Coulmiers.







Une dame m'a trouvée en pleurs dans l'escalier.
Elle m'a fait entrer chez elle.
Elle a dit qu'elle vivait là depuis 1978, mais que la porte, l'entrée, l'escalier...tout était d'origine.

Que ça pouvait pas être son appart, occupé par les enfants du propriétaire. 
Puis elle m'a ouvert le balcon.
Et j'ai reconnu l'immeuble d'hier.
La vue pendant ma deuxième année de vie...


dimanche 14 avril 2019

Juste pour dire...




Que la rivière
ses courbes 
ses méandres
ses oiseaux...
ça compte.







Bienvenue en mal...gérie !

Je suis donc arrivée sans encombre à Oran, même pas deux heures de vol.


Pendant l'atterrissage, je me sens submergée par l'émotion.

En revanche, comme je m'en doutais, il n'y avait évidemment pas la navette vantée sur le site, pour rejoindre mon petit hôtel de seconde zone.

Un policier de l'aéroport m'indique où changer l'argent au noir. C'est à dire au tabac, où je troque  50 euros contre 9000 dinars. Tarif largement plus avantageux que dans les bureaux de change.

Puis je prends un taxi.
Quand je suis arrivée, 1500 DA plus tard (10 €) , je dis :
" - Euh, vous êtes sûr que c'est là ?
- Oui oui, un très bon hôtel tout neuf..
- Justement ça peut pas être le mien, puis c'est pas écrit Jasmine mais Jasmin...et le mien est au centre ville en principe"

Rappelez  moi de JAMAIS laisser de pourboire au taxi avant de vérifier que c'est la bonne place...

Bon je rentre et le jeune à l'accueil me dit qu'en effet il n'a pas de réservation à mon nom (vu le standing de cette résidence appart hôtel très bien gardé, je m'en doutais...)

Mais il appelle mon hôtel, palabre, car il semble que question transmission équipe de jour/de nuit, tout ne soit pas très clair,  puis rappelle un autre taxi...
"- Bon, madame, déjà sachez que l'orthographe des noms français ici, tout le monde s'en fout.
Ne vous inquiétez pas ils ont encore une chambre libre pour vous.
Et je vais parler avec le taxi, qu'il ne vous fasse pas payer le prix qu'il fait à certains clients.
Ce qui est sûr c'est que ça vous coûtera pas encore 1500 DA.
Sinon bienvenue en Algérie, ou plutôt en Mal...gérie...."

Je comprends qu'il vaut mieux que je m'habitue tout de suite aux...malentendus...
Et à la gentillesse des gens comme ce garçon, qui m'a juste aidée sans bénéfice aucun.

Quelques minutes plus tard, Ahmed me dépose à mon vrai hôtel, au centre ville, quartier assez minable qui a dû être plutôt chic du temps des Européens.


Le jeune à l'accueil ne parle presque pas français.
Mais on se débrouille pour la visite de la chambre, le petit dej demain, mon prochain point de chute gérable à pied
(en faisant attention car tout est un peu mal fréquenté) et comment changer de l'argent au noir, le sport national.
Le lit est confortable, la chambre propre et récemment rénovée, la wi fi correcte.
Je suis cuite de toute façon.
Pour ce soir ça ira parfaitement.
Et demain...à la grâce de Dieu !




samedi 13 avril 2019

Un nouveau départ


Mes plus anciens lecteurs reconnaîtront mon fidèle sac jaquaire,
qui me manquait gros.
Dans ce sac il y a quelques vêtements, une carte de l'Algérie,
le livret de famille et les papiers militaires de mon père, au faux nom du sergent Rousseels, né rue de la gare à Bruxelles.
Il y a un flot de larmes, des peurs terribles, la mémoire d'une petite Colette,
née pile un an avant moi,
et morte le même jour,
comme un péché étouffé...
Et tout ce qui fait de moi une fille du sud...
J'embarque asteure, pour Oran, ma ville natale.

Édit du soir
Je suis bien arrivée...demain il fera jour...

La grossitude ça n'existe pas #15 La faim, le plaisir et l'envie


C'était jeudi, je prenais mon petit-déjeuner, avec une grande attention, dans le petit salon avec vue sur le ....parking.
J'ai remarqué que l'arbre encore en fleurs la veille avait tourné au vert.
J'ai remarqué aussi que je n'avais pas mentalement compté le pain et le beurre.
J'ai remarqué que je n'avais plus faim.

Un peu plus tard il était midi et je n'avais pas eu besoin de collation.
Quand bien même j'en aurais eu besoin, c'est simple j'aurais mangé une petite chose en attendant le repas.
Une petite chose qui m'aurait fait plaisir.
Sans me poser de question.


L'après-midi, justement, j'ai eu besoin d'un snack.
Un snack lent et savouré.
Sans culpabilité.

Alors voilà, après deux semaines, ce que je peux dire :
la faim est un appel du corps qu'il faut respecter.
Depuis 30 ans je ne mange pas à ma faim pendant la plupart des repas...et ça se paie.
En compulsion.
Il faut prendre du plaisir et manger ce qu'on aime.
Pas de plaisir égale frustration...
Et ça se paie en compulsions.

Il faut manger ce qui nous fait envie. Quand on n'est ni en frustration ni en restriction,
une fois que l'estomac est rempli (à sa faim, ni plus ni moins), si on prend le temps de s'écouter, on n'a plus envie.
(D'où le morceau de cake qui reste sur le plateau).

Le temps de s'écouter ça veut dire se poser, respirer, manger avec attention, de petites bouchées.
On mastique correctement, on pose ses couverts presque systématiquement.
Les gros morceaux avalés fatiguent l'estomac et en plus il envoie une fausse information de lourdeur au cerveau. Et on n'éprouve pas ce plaisant plaisir.

La mastication et le sommeil suffisant : voilà les deux déclencheurs de la leptine, l'hormone de la satiété.

Et l'envie émotionnelle sans faim ?
On la satisfait sans attendre. Sinon...ça se paie en compulsion..
Mais on n'avale pas tout rond.
On déguste et on savoure au calme ce petit plaisir qu'on se fait.

Vous vous dites certainement : oui mais la balance ?
La balance de l'hôpital m'a dit :
Aaaaaaah ! Enfin un mois sans grossir.
Elle a ajouté : mais dis-donc t'as mangé ce que tu voulais à ta faim et t'as perdu un kilo en deux semaines ? Ça fait 8 kg de pression en moins sur tes genoux... tu vas continuer j'espère.
Et pour conclure elle a précisé: ah mais tiens, un kilo de muscle en plus, presque tout sur ta jambe droite.  Tu sais celle de ta cheville blessée?

Et vous savez quoi ? En anglais, compulsion ça signifie contrainte.
Et moi, asteure, je me sens libérée   (.... délivrée, nanana tout ça...)



vendredi 5 avril 2019

La grossitude ça n’existe pas #14 Pour vivre en faim*

J’achève aujourd’hui ma première semaine d’hospitalisation (à l’hôpital public donc), dans un service de nutrition. Ce soir c’est permission, puis réintégration des lieux dimanche à 19.00.

On me pose beaucoup de questions sur cette opération de la dernière chance. Chirurgie bariatrique ? Cure ?

Rien de tout ça. Mais je vas quand même tenter d’expliquer.

Au programme c’est identification, écoute et respect des sensations, acceptation de son corps, retour à l’activité physique pour ceux qui n’en pratiquent pas.
Et cette première semaine c’était recherche de la faim.
Tu découvres ta faim, tu la nommes, tu la caractérises, tu la cotes sur une échelle de 1 à 10. Et surtout tu demandes à manger.
Puis tu manges.

Avec attention (dans ta chambre, sans télé, ni smartphone, ni livre). Tu as un plateau complet. Tu manges ce qui te fait envie, quand tu n’as plus envie tu passes à un autre aliment. Tu laisses éventuellement dans ton assiette ce qui est en trop.

Puis tu attends le retour de la faim. Et tu recommences.

Bien sûr, selon le moment de la journée, le plateau n’est pas le même : repas, collation…
Et ce n’est pas un plateau de régime, on ne s’occupe absolument pas de la valeur calorique de quoi que ce soit.

Cherchez pas j'ai déjà mangé le taboulé...


Je croyais savoir un tas de choses sur ma faim.
J’étais loin du compte.

Contrôler son poids, ce n’est pas contrôler sa faim. La faim ne se contrôle pas, elle se satisfait.
Avec un schéma particulier. Passées les 3 ou 4 premières bouchées, elle disparaît. Mais on n’est pas à satiété quand on a juste plus faim. C’est clair qu’on ne peut pas s’arrêter là. Quand tu es sur la réserve de carburant, et que tu veux rouler un peu loin, tu ne te contentes pas d’éteindre la jauge, tu remplis ton réservoir.
Avec une chose, avec plusieurs, avec de la salade ou des frites, peu importe. Rien n’est interdit en fait, puisque TOUS les aliments sont utilisés par le corps. Le stockage ne s’enclenche pas en fonction de la nature de ce qu’on mange. Le stockage c’est du trop-plein. Pas du trop plein occasionnel. Du trop-plein quotidien.


En réalité, le corps est merveilleusement organisé pour survivre, faire face. En revanche ce n’est pas un ordinateur : il a des pensées et surtout des besoins, physiologiques et psychiques. Et donc il envoie des signaux, qu’on ferait mieux d’écouter. Par exemple, après le début du rassasiement de la faim, il maintient une envie de manger, jusqu’à la satiété, qui n’est pas une sensation physique. C’est en fait « un état mental qui détermine l’arrêt du repas. Il correspond à la disparition de l’envie de manger et au désintérêt pour la nourriture. »*

On peut donc avoir le ventre plein et ne pas se sentir rassasié…
Et inversement, il n’y a pas à craindre de ne pas finir son assiette, puisqu’on peut remanger plus tard si on n’a plus faim.

Sauf que… Toute cette extraordinaire organisation naturelle et intuitive de l’autorégulation est très sérieusement mise à mal après des décennies de régimes ou de « programmes alimentaires équilibrés », alternant périodes hyper contrôlées euphorisantes, intenables, puis explosées en craquages et compulsions irrépressibles.

Me concernant, et ayant déjà parcouru un long chemin, je vis quand même depuis des années dans la méconnaissance du véritable signal de la faim, à laquelle s’ajoute la restriction, - ne pas manger entre les repas, ou au moins avant un certain délai – . L’oscillation constante entre la frustration, et la culpabilisation du plaisir pris hors du supposé « diététiquement correct ».

Pendant cette semaine d’observation, j’ai noté que ma faim ne se signale pas juste par un creux à l’estomac. Le creux, c’est déjà une faim inconfortable, qui a attendu. J’ai bien d’autres signes avant-coureurs, jamais remarqués : les paupières lourdes, la bouche sèche (qui ne s’étanche pas en buvant), et parfois mal à la tête. Arrivée au creux, s’ajoute l’agacement, voire l’irritabilité.

Le souci c’est que quand j’attends trop longtemps, c’est simple, je mange plus vite déjà, et une quantité plus importante.
Pas d’état de satiété, et déjà du trop-plein (donc du stockage).
Il faudrait respecter sa faim en connaissance de cause, et, manger d’autant plus lentement et attentivement que la faim s’est amplifiée d’avoir attendu,

On est loin, à des années-lumière même, du discours culpabilisant sur la soupe/yaourt du soir, la suppression du sucre, tous les interdits en fait.

Alors j’ai aucune idée de ce que ça va donner.
Mais faim + attention + plaisir/envie + bon timing + diversité, ça me paraît un menu intéressant.


Que les boys viennent partager avec moi dimanche, c'est le bon moment






avant que je ne plonge dans une deuxième semaine, attendue avec curiosité.

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* Intitulés du programme