vendredi 28 avril 2023

La grossitude ça n'existe pas #20 Poivre et sel


J'ai commencé par une petite chose, assez anodine.
Laisser apparaître mes cheveux gris. Je ne les ai jamais vraiment vus, j'applique du henné depuis plus de trente ans. L'an dernier encore je n'étais pas prête. Et là, soudain, j'en ai eu assez.
Assez aussi de cette injonction qui ne pèse que sur les femmes finalement.
Je suis impatiente de les sentir, de les toucher.
Bien que patience devrait être le maître mot.


Ce petit recentrage sur moi-même a fini par laisser poindre un vague sentiment d'injustice. 
En m'installant ici, j'ai abandonné tous mes repères, mes routines.
Plus de gym matinale, de méditation, de vélo...Retenue par les bras douillets de mon amoureux, qui lui n'arrive pas à décoincer avant 8h, et surtout n'a rien dû changer de ses habitudes, j'ai fini par oublier mes propres besoins.
Résultat, la sensation permanente de courir après le temps et la réinstallation blitzkrieg de kilos dont j'avais complètement oublié l'existence. A l'étroit dans ma peau, tout a fini par me peser, c'est le cas de le dire. Et j'appréhendais le déballage de mes jolies robes d'été, sans vraiment savoir comment me sortir de cette situation.
Décidément, j'aurais été emmerdée toute ma vie avec ça. Une double peine du traumatisme impuni de l'enfance, Merci tonton...
Finalement, le déclic est venu de la tempête de la semaine dernière, et de l'image de mon ex-mari terrassé par le souffle de l'Ankou. Jugeant que l'heure se devait d'être malgré tout davantage à l'énergie qu'aux lamentations, j'ai ouvert mon cœur au breton des bois, qui lui, a ouvert ses bras.
Je me lève tout simplement plus tôt que lui, pour retrouver rigueur et routine matinales, méditation, lecture et premiers jets d'écriture.




Nous nous retrouvons pour le petit déjeuner, avant d'aller marcher ensemble une grosse demi-heure.

C'est que la féminité, l'amour, la joie de vivre se nourrissent du respect mutuel et du soutien réciproque. Sur la durée, une fois écoulée la lune de miel, c'est un travail délicat et quotidien.
C'est une grâce que nous accorde la vie, que de pouvoir s'offrir moments partagés et moment pour soi.


lundi 24 avril 2023

Le souffle de l'Ankou

 

Au moment où j'écris, mon ex-mari, le père de mes enfants, gît sur un lit d'hôpital, en s'éteignant chaque jour.

Il lutte à la fois contre un mauvais covid et un avc. Chaque jour ils augmentent la quantité d'oxygène, chaque jour son souffle s'affaiblit. Il a expressément demandé à ne pas être ranimé s'il fallait en venir à l'intubation. Nos deux fils sont auprès de lui, et gèrent de leur mieux.

Nous voici donc à la fin du mois qui ne se découvre pas d'un fil.

Je me faisais une joie de la parenthèse des vacances de printemps, et d'accueillir, dans cette maison qui n'est pas vraiment la mienne, Franzouski, Maiia et Vania.

C'est triste à dire, mais ce furent vraiment des vacances de merde.

Ils étaient pourtant arrivés dans la joie, après une longue route. Oui la Bretagne c'est beau, mais c'est loin de tout. Franzouski s'était blessé au genou, il devait rentrer plus tôt que prévu, pour voir un médecin du sport. Première déception.

Heureusement, il faisait beau, et nous avons pu profiter d'une journée de plage, faire connaissance avec les enfants de mon amoureux, et même réunir les petits-enfants pour une journée de plein air.

Hélas, le soir les ennuis commençaient. Vomito et compagnie, gastro en chaîne pour toute la petite famille, carottes, riz, compote et machines à laver pour moi. Deuxième coup de semonce.

Franzouski m'avait dit que son père était malade et avait du mal à se remettre. Le coup de grâce est venu. Appel téléphonique, il ne sentait plus son bras droit. J'ai tout de suite compris. AVC. J'ai dit : "raccroche et appelez immédiatement le 15". Deux heures après il était évacué de l'hôpital local vers le CHU régional, dans la ville où vit Franzouski.

Le lendemain, la famille encore un peu nauséeuse, a remballé vite fait ses valises pour rentrer. De son côté, le Kid, qui est toujours un peu plus long à la détente, a fini par se mettre en route. Il n'avait pas réalisé la gravité de la situation, et ce fut un choc immense de voir son père terrassé. Depuis, les deux frères passent l'après-midi dans cette chambre a parler de choses et d'autres. Ils tiennent la main de leur père, qui les entend et doit être fier d'eux.

Le Kid m'a aussi confié que, eu égard aux choix de vie de ce papa âgé, alcoolique, sédentaire, ancien gros fumeur, il s'attendait depuis des lustres à ce coup de fil impérieux. Que passée la vacuité futile des premières inquiétudes quant à ses routines personnelles, il a lâché prise pour se concentrer sur les nécessités du moment présent. Et que cette épreuve, finalement, c'est un rappel à la vie.
Il a toujours été un grand philosophe.


Là, tout de suite, on ne sait pas ce qui va se passer. En marchant, chaque matin, je resonge à mon erreur de casting en choisissant cet homme, à qui j'ai donné dix ans de ma vie, mais avec lequel j'ai aussi eu deux enfants. Ce n'est pas une chose que l'on puisse regretter. Sa violence qui m'a conduite à le quitter, et que nos fils n'ont jamais vraiment entendue, me reprochant parfois mes actes, avec une forme d'injustice que je n'ai jamais bien vécue. Il paraît que, spontanément, les enfants défendent le parent qu'ils estiment être le plus fragile. 

Ce qui est certain c'est que nous avons toujours passé Noël tous ensemble. Qu'il était là à faire rigoler ma mère en ce 25 décembre 2017,  juste une semaine avant qu'elle ne meure. Que ces dernières années, il a eu un comportement non seulement correct, mais aussi aidant, avec ses fils, comme avec moi. C'est un homme avec un très fort instinct de conservation. Il se bat. Chaque matin je contemple l'idée de sa souffrance, et j'envoie tout ce que je peux de pardon, de compassion et de force. Sur le reste nous n'avons aucune prise.

Car nous sommes tous à égalité.

Nous allons tous mourir. Nous sommes conscients de cette finitude. Et nous ne savons pas quand viendra l'Ankou.



Photo Ouest-France de l'église de Noyal-Pontivy (56).
Ankou vient de deux mots bretons : ankoun, l'oubli / et anken, le chagrin.