dimanche 13 juin 2010

Le syndrome d'Emma

Elle s'était mariée quelques années auparavant. Une éternité, surtout quand, après le meilleur, elle s'installa dans le pire.
Au début, elle se croyait heureuse. C'est que sa vie était bien remplie, sous les yeux d'une province à l'affut de tout signe extérieur de paraître. Entre l'aménagement de la maison, son travail, les petits dîners entre amis, elle n'avait pas le temps de s'ennuyer.
Son mari ne cachait pas sa fierté. Elle savait conduire son ménage, recevoir comme il faut.
Noël, Pâques, tout était bien. Conformes à la tradition, à la religion, à ce qu'on est sensé attendre de la vie maritale.
Là-dessus, ils firent des enfants.
Ils les firent très banalement : en polarisation horizontale, au bon moment, choisi par elle, vu qu'elle ne voyait pas en quoi s'y reprendre à plusieurs fois aurait pu être un tant soit peu excitant. Les élever fut un genre de joie oui, mais la vie n'en devint pas plus passionnante pour autant. En tout cas, rien qui ressemblât aux histoires des livres de son enfance. Ni fièvre, ni désir, juste la monotonie confortable et amère du quotidien, une somme d'habitudes.

Ils ne se parlaient pas.
Enfin, au début oui. Ils partageaient des espérances qu'ils croyaient communes. Et quand l'un ou l'autre s'apercevait des dissonances, il les ignorait délibérément, confondant compromis et renoncement. Par la suite, les conversations servirent à régler les détails du ménage, mais ils ne se disaient rien. Rien de ce qu'ils attendaient, rien des déceptions. Faute de réglages et d'ajustements, leur vie monotone s'enterra à l'ombre du mur des non-dits.
Elle en fut très malheureuse, s'égara dans des rêves romanesques de mystère et d'élégance et en devint désespérément romantique. Irritée, irritable, la banalité affligeante de sa vie conjugale lui pesait. Elle fit l'expérience de la mélancolie.
Et aussi de la culpabilité.
Car oui, tout dans son éducation religieuse et son milieu bien pensant lui interdisait les pauvres petits fantasmes dont elle eut pu se nourrir. Rêver d'un amant, c'était mal. Ne pas sourire alors qu'elle avait tout pour être heureuse, c'était pire.
Elle aurait pu quitter le giron familial, mais qu'auraient dit les autres ? D'autant que, si elle y faisait partie des meubles, en société, c'était un peu différent. Oui, en public, son époux prenait un air de propriétaire en posant sur elle le regard et la main. Ce qui fait que personne n'était sensé se douter du vide sidéral de leur vie affective.
Oui
qu'auraient dit les autres ?
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Alors elle fit la seule chose possible.
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Elle ouvrit UN BLOG !
Elle y posta ses recettes de gâteau, les photos de son jardin, ses petites joies, ses grandes contrariétés. Des pensées lénifiantes baptisée « proverbes » dont elle avait plusieurs recueils. Elle s'y fit des amis. Et même, elle s'y fit un projet d'amant. Chaque post était un genre de message perso, étant entendu que, si pour tous il prenait sens, ce n'était pas celui qu'elle y mettait. Ce truc banal qu'est le décalage entre l'intention de l'émetteur et l'émotion du récepteur, se trouve singulièrement majoré par l'oral écrit des journaux pas intimes.
Si vous voyez ce que je veux dire.
Toujours est-il qu'elle était sûre qu'il venait voir
qu'elle était sûre qu'il comprenait
qu'elle était sûre qu'il l'attendait.
Toujours est-il que, de chaque silence éloquent, elle tirait une conclusion grandiloquente, digne des bonnes feuilles de Barbara Cartland.
Toujours est-il qu'elle se construisit un roman d'amour sans sexe.
Toujours est-il qu'elle y passait beaucoup de temps, ce qui lui évitait d'avoir à affronter le morne face à face vespéral des couples sans vie intime.
Et puis bien sûr, elle s'acheta un canard.


La p'tite Bill elle est malade Alain Souchon

Benjamin Husson | MySpace Vidéo



Bah oui, le Flaubert, il doit se retourner dans sa tombe. Mais bon, s'il avait connu mai 68, le minitel, internet, meetic, les speed dating, l'amour est dans le pré et tout et tout, franchement, vous pensez vraiment que Mme Bovary se serait finie à l'arsenic ?

2 commentaires:

Barbara a dit…

ben je préfère cette version

l'autre pas un souvenir impérissable !
est ce que parce que ce fut une lecture forcée imposée(collège)
ou le style
ou pas le moment
ou trop jeune
ou trop de pessimisme ambiant
je sais plus
et là lundi matin pas assez réveillée pour philosopher


bref ton style à toi me plait bonne semaine ma belle !

Madame Nicole a dit…

et surtout
c'est moins long...
faut que je réfléchisse à une version moderne de Salambo maintenant...