Je ne pense, je ne rêve, je ne projette que Louisiane.
Même si le fils du père Noël venait me jouer une aubade à la Béchonnet, en string sur un petit vélo,
il y a fort à parier que je n'ouvrirais pas la fenêtre.
Je ne pense, je ne rêve, je ne projette qu'en anglais.
J'ai fait une liste de mes points faibles : parler au passé, les pronoms relatifs et le comparatif.
Et je dois à cette attente à meubler,
une petite joie toute simple : goûter au sel des parlers.
Dans mon bullet journal,
j'ai quelques pages de lexique où j'inscris,
au fur et à mesure,
les mots et les structures qui me font défaut quand je pense en anglais,
ce que je m'efforce de faire chaque jour.
Me viennent de petits textes, des poésies, dans l'une ou l'autre des deux langues.
Je crois que cela tient à leur grammaire.
La grammaire, torture mentale des générations successives de petits français et des primo-arrivants,
est aussi un catalyseur de productions orale et écrite non négligeable,
dès lors qu'elle est suffisamment automatisée pour se manier sans se poser de questions.
La grammaire française, avec ses règles complexes, ses petits mots, sa conjugaison,
engendre une expression fine et sensible du détail, de la pensée cartésienne, de l'argumentation.
La grammaire anglaise pourrait faire pâle figure. Et pourtant ! La simple association de deux mots, l'ajout d'un gérondif ou d'une forme adverbiale, quand on se laisse un peu porter, permet de communiquer rapidement, dans des formes courtes, un afflux d'émotion, une image mentale aussi expressive que succincte.
Je suis persuadée que cet aller-retour permanent entre la pensée et le langage qui la traduit, façonne à la longue le mode de raisonnement. Les Français en général, qui sont paradoxalement perçus à la fois comme un peu trop "direct to the point" et inutilement batailleurs dans les négociations, ont beaucoup de mal à être synthétiques, notamment à l'écrit. La fameuse trilogie thèse-antithèse-synthèse est sensée recentrer la pensée, je la trouve moi, lourde, ennuyeuse, et très formatrice notamment à l'argumentation.
Un peu trop directs, un peu trop bavards.
Les anglos-saxons, plus sobres dans le propos et l'argutie, ont la carte mentale aisée et la palabre moins frontale.
Plus j'avance dans la langue et plus je m'aperçois qu'en effet, en français, il faut concevoir clairement pour énoncer, avant d'être récompensé par des textes riches et beaux,
alors qu'en anglais on peut être à la fois elliptique et efficace.
Et que c'est un bonheur de pouvoir passer de l'une à l'autre sans complexe selon le fond ou l'interlocuteur.
1 commentaire:
très intéressant
merci
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