mercredi 14 mars 2012

Voyageur

 Il apprend à lire, et à écrire, il dit pourquoi à la place de parce que, et "ils me manquant" pour "ils me manquent", il confond les b, les d, les p, les q. A la fin du cours, il a la tête comme une citrouille.
La plupart du temps, il parle voyageur.
- Madame, vous pouvez m'apporter un poème, que je le copie pour ma famille, mes enfants ?
- Oui bien sûr.
Aujourd'hui je me pointe avec mes poésies pour enfants. Il écoute, il a une moue dubitative. Il est clair que ce n'est pas ce qu'il voulait.
- ça ne vous plaît pas ?
- Heu, c'est que je voulais un poème d'amour moi, pour ma femme... Avec des fleurs vous voyez.
- Oui je vois. En effet, ce n'est pas exactement ça. Bon j'apporterai autre chose.
Il est manifestement très, très déçu.
- Et si vous l'écriviez vous-même ?
- Mais madame, je ne sais pas faire ça moi !
- Je vais vous aider. Qu'est-ce qui vous manque le plus ?
- Tout, j'y pense tout le temps, la nuit, le jour.
La machine à rimer se met en route dans ma tête, j'aligne les vers.
"Amour rime avec beaucoup", j'explique la licence poétique. On parle de ses enfants, parce qu'il les gardait tous les matins.
Leurs cris, leurs jeux.
J'enchaîne la deuxième strophe.
- Ses cris à elle aussi, ils me manquent.
Je ne dis rien, j'ai remarqué que les gitanes crient beaucoup. Je ne sais pas si c'est de l'amour, mais c'est de la vie en tout cas.
- Et puis leur odeur aussi, elle me manque. Vous pouvez aussi écrire quelque chose sur leur odeur ?
- L'odeur chaude dans leur cou ?
- Oui, c'est ça oui. et on peut dire "mes amours", ou plutôt non "mon amour", je ne sais pas, qu'est-ce que vous mettriez-vous ?
- C'est-à-dire que c'est à vous de décider, moi je ne fais que traduire et écrire pour vous.
- Alors on met "mes amours". Et on peut mettre tous leurs noms aussi ?
J'affiche les options de dessin, je dessine un gros cœur avec la souris, et j'écris leur nom gitan dedans (les voyageurs ont un "nom d'école", celui de l'état-civil, et un "nom gitan", celui de l'intimité familiale).
Avec le cœur, c'est sûr, j'ai marqué des points.
Je suis très étonnée d'ailleurs par ses demandes : aligner ceci avec cela, mettre au milieu, comme-ci, comme ça. Il a une véritable exigence esthétique et j'ai beaucoup de plaisir à manier le clavier pour y répondre.
A la fin, on prie pour que l'imprimante fonctionne.
Il s'en va avec sa feuille, tout content.
- Vous voyez, vous avez écrit un poème très personnel, qui n'appartient qu'à vous.
- Oui, je suis bien content. Mais madame ...
- Oui ?
- Vous m'apporterez un livre avec d'autres poèmes dedans ?
- C'est comme si c'était fait.

1 commentaire:

Barbara a dit…

merci pour le partage