Je vous ai déjà parlé de mes élèves maliens ?
De grands types tout noirs et très jeunes.
Des mineurs isolés,
qui ont dû traverser le nord de l'Afrique en camion,
prendre un bateau bondé,
eu la chance de ne pas finir par-dessus bord,
et bricolé encore un peu pour arriver jusqu'en France.
J'en ai d'abord eu un premier,
tout doux, tout timide, la gentillesse incarnée,
un futur champion de foot.
Quand il est arrivé,
il a amené du calme avec lui,
du calme et du courage.
Il a débarqué, il savait à peine écrire,
il comprenait juste assez pour survivre.
C'est étonnant quand on vient de la capitale d'un pays
dont le français est une langue officielle.
Mais en fait pas tant que ça,
parce que le Mali, c'est un des Etats où on est le moins scolarisé.
L'école est payante déjà,
et en général, à la place, ils fréquentent un peu l'école coranique.
Donc lui, il ne parlait que le bambara,
ouvrait les livres à l'envers (l'habitude du Coran...)
mais il savait former quelques lettres et il connaissait l'alphabet,
déchiffrer des mots simples.
Comment ?
Facile : il avait un copain qui allait à l'école publique,
et qui lui faisait un petit reporting le soir.
Respect.
Quoi que je lui donne à faire, il va au bout.
Mais c'est dur, parce qu'il n'a pas encore la relation grapho-phonétique,
alors il écrit vraiment pas compréhensible.
Il va y arriver, je le sais.
Un deuxième vient de débarquer,
une grande bringue qui me dépasse d'une tête,
qui pose plein de questions,
sur les mots, les coutumes françaises
et qui se marre tout le temps,
ou qui pousse de petits cris joyeux pour manifester sa surprise,
son étonnement.
Hé ?
Il est 15h00 et on s'organise pas pour la prière ?
Ah ben non, pas de prière ici, l'école est laïque,
Dieu, la prière, c'est dans ton cœur, et surtout le soir en privé dans ta chambre.
Hé ?
Je lui explique comment font les autres (toutes les prières d'un coup),
et où se trouve la mosquée.
Il faut tracer un trait.
Hé ?
Il n'a pas appris à tenir une règle, je lui montre.
Lui, il ne parle que soninké
(si quelqu'un sait où on peut trouver un dictionnaire...)
et pour écrire, il faut qu'il s'accroche,
parce qu'il vient juste d'apprendre.
Ils ont 16 ou 17 ans,
on les appelle des NSA : non scolarisés antérieurement.
Les ciseaux, la colle, le compas, la règle...
tout ça, ils ne connaissent pas.
(mais ils savent lire une carte, ce qui n'est pas le cas de tous les NSA).
Surtout, ils apprennent à une allure étonnante
et c'est tant mieux : à 18 ans, pas de contrat jeune majeur.
Soit tu as une formation en alternance et tu peux subvenir à tes besoins,
soit c'est charter pour Bamako,
soit tu restes illégalement sur le territoire français avec ton visa étudiant...
Avant les vacances de Noël,
j'avais deux trois zozos qui plombaient un peu l'ambiance du groupe,
un brin laxatifs.
Depuis que les deux Maliens sont arrivés,
la classe est ambiancée.
Apaisée et productive.
Ils ont un truc, cette espèce de joie africaine,
une gnaque sereine,
faite d'espérance, de courage et de pragmatisme.
Tellement heureux d'avoir un cahier, un classeur avec des POCHETTES PLASTIQUES !
Et les stylos multicolores qu'on utilise pour la mémorisation.
Moi je dis,
c'est mieux de financer les mineurs isolés
que de les laisser traîner dans des squats avec n'importe qui...
Je ne leur demande pas pourquoi ils sont venus,
je m'en doute,
et de toute façon ça ne me regarde pas,
ils m'en parleront d'eux-mêmes en fin d'année,
quand ils auront les mots,
c'est toujours comme ça.
Mais je les admire beaucoup.
Le dessin vient de là.
6 commentaires:
merci pour ce témoignage
bon courage à eux et bravo à toi pour ton implication
Merci ! L'aînée des petites filles que je garde est ambianceuse aussi ;) Toute le famille vient du Cameroun et là, ça devient difficile aussi...
Très touchant et très intéressant (ça c'est du commentaire !)
C'est toujours un commentaire en tout cas. Le nombre de lecteurs a été multiplié par 20 en quelques jours, mais pas celui des commentaires, c'est drôle.
Cette espèce de joie africaine.... oui, c'est tout à fait ça ! tu le dis si bien !
merci !
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