jeudi 31 mars 2011

La voix de sa maîtresse

Le texte est difficile.
Quand Angèle fut seule.
Une nouvelle à chute, ladite chute est ténue. Beaucoup d'implicite, beaucoup trop a priori pour ces lecteurs non aguerris, en crainte de l'écrit, qui passent à côté du sens.
On l'a lue.
Constellation des personnages, ligne chronologique pour gérer les nombreux flash-back, reprises anaphoriques.
Aucune question directe sur le texte.
- Mais ?!.... Mais elle l'a tué, elle a tué son mari ...
- Oui, oui, avec de la mort aux rats, regardez.
Un peu interloqués. Par la vérité, ou parce qu'ils y ont accès ?
- Oui, c'est ça, vous avez très bien compris. Vous voyez, vous avez compris.
Ils sont fiers, moi aussi.
Parce qu'au début, ils me disent toujours la même chose : "Non madame, ce genre de texte, ce n'est pas pour moi, trop compliqué, il y a trop de choses que je comprends pas".
Mais à la fin, ils voient.
Le pouvoir des mots, ils le voient.
Il est temps de franchir le pas.
Ils préparent le brevet, il faut qu'ils soient capable de produire de l'écrit.
- Vous allez écrire maintenant.
- La suite ?
Ils ont un peu l'habitude de ça, écrire la suite.
- Non, un extrait du journal intime d'Angèle.
- ?????????????????
- C'est la notion de point de vue. Vous allez vous mettre dans la peau d'Angèle, choisir un point sur la ligne du temps, et écrire ce qui s'est passé ce jour là.
Il y en a un, c'est un ancien élève de classe relais. Il a besoin de se réconcilier avec l'école, avec l'estime qu'il a de lui-même.
Il a hésité longtemps, il avait soif, il voulait regarder ce qu'avait écrit le voisin.
Je lui donne le premier mot.
"Aujourd'hui ...."
Il se lance, j'aime bien ce moment.
Il prend le texte, le réécrit à la première personne, lit à haute voix.
C'est déjà très bien, pas à la portée de tout le monde.
- Bon, maintenant vous rangez le texte, et vous finissez seul.
Il range, écrit encore, relit à haute voix.
C'est juste excellent.
Voix narrative sans accroc, syntaxe parfaite, une pleine page.
Je lui exprime mon admiration, ma fierté.
Émus tous les deux.
- Je peux photocopier votre cahier pour mon mémoire ?
- Oui, mais les fautes madame ?
Je souligne, code les erreurs. Il corrige, recopie soigneusement.
Je repars avec un trésor.
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Illustration prise sur ce blog

2 commentaires:

LN13 a dit…

Il arrive parfois un instant magique... Surtout prendre le temps de savourer !
Et bon courage pour le mémoire.

gren a dit…

de quoi balayer la lassitude et les doutes...
:)