Mon camp de base est désormais la Bretagne des bois. Dans le Bourbonnais je m'étais réparée. Ici je veux m'épanouir. Ce n'est pas toujours facile. Allées et venues du quotidien de Madame Nicole en pays Pourlet.
samedi 29 novembre 2008
Voix écolière
Je voudrais fonder un syndicat qui s'appellerait "Voix écolière".
Ils serait ouvert à tous ceux qui rêvent du grand soir de la révolution écolière : la maîtresse au feu les cahiers au milieu.
Humour bien sûr. N'est pas Jeanne D'Arc qui veut, je n'aimerais pas être brûlée dans la cour.
N'empêche que pour faire partie du syndicat, il faudrait :
- parler correctement aux enfants ;
- se comporter professionnellement ;
- garder sa petite flamme même en cas de gros temps (compliqué ça en ce moment) ;
- ne pas arracher de pages trop souvent;
- ne pas faire honte à un élève publiquement ;
- s'asseoir cinq minutes par jour et les regarder vraiment.
Pas facile hein ?
Déjà, seraient exclus eux-mêmes du parti tous les soixante-huitards attardés, ceux qui ne sanctionnent jamais mais qui parlent mal tout le temps, avec cet insupportable petit air méprisant de juge des valeurs du temps.
Cooptation obligatoire pour écarter :
- ceux qui n'ont rien compris à Françoise Dolto, qui confondent parole libre et passage à l'acte toujours permis, pour finalement s'empêtrer dans l'autoritarisme au lieu d'asseoir leur autorité d'adulte responsable ;
- ceux qui n'ont lu que le début de Piaget et Vitgosky, et ne connaissent de Célestin Freinet qu'un téléfilm et quelques idées reçues : bref ceux qui confondent autonomie et abandon ;
- et puis ceux qui confondent la franchise et la méchanceté, ce qui est très à la mode depuis quelques années.
Réduction de cotisation pour : ceux qui ont de l'empathie, ceux qui savent s'excuser, faire la palabre quand c'est nécessaire, accepter leurs erreurs comme celles des autres, ceux qui doutent, ceux qui y croient encore, ceux qui encouragent.
Repêchage possible pour les maîtresses qui crient tout le temps parce qu'on ne leur a pas appris à faire autrement.
Ah oui, j'ai oublié pour la cotisation : paiement symbolique pour tous, qui devra témoigner d'un début de tentative de lâcher prise (par exemple : un stylo rouge, une feuille pas collée droite dans le cahier, etc.)
On peut aussi rajouter une couche-culotte que "Voix écolière" se chargera d'envoyer à vous savez qui...
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mercredi 26 novembre 2008
Entre quatre murs
Entre quatre murs, ce n'est pas facile je vous jure, de leur apprendre à lire, à écrire, à parler.
Ils arrivent de loin, ou de tout près.
Pour venir me voir ils ne sont pas allés se promener.
Ils rigolent, ils font des projets, on ne sait pas combien de temps ils vont rester.
Pas celui-ci, il a été transféré.
Pas celui-là, il est en bas.
Il faudra attendre pour le revoir, il est parti au parloir.
"Madame s'il vous plaît, je peux avoir des crayons pour colorier ? Du papier pour dessiner, un classeur pour mes papiers ?"
Noël approche, il faut y penser, même derrière une fenêtre grillagée.
Découvrez Pleymo!
Ils arrivent de loin, ou de tout près.
Pour venir me voir ils ne sont pas allés se promener.
Ils rigolent, ils font des projets, on ne sait pas combien de temps ils vont rester.
Pas celui-ci, il a été transféré.
Pas celui-là, il est en bas.
Il faudra attendre pour le revoir, il est parti au parloir.
"Madame s'il vous plaît, je peux avoir des crayons pour colorier ? Du papier pour dessiner, un classeur pour mes papiers ?"
Noël approche, il faut y penser, même derrière une fenêtre grillagée.
Découvrez Pleymo!
lundi 24 novembre 2008
Après la fête
C'était après la fête, le lendemain matin, les filles avaient mis les torchons à sécher sur la barrière en bois.
J'aime bien ces lendemains tranquilles, avant le retour aux ateliers. Tout le monde dort encore. Il y a une lumière très douce qui monte de la rivière au fond.
J'ai eu envie de prendre la même photo que celle qui est accrochée dans la salle. Ce n'est pas original, mais c'est mon nouveau fond d'écran.
Et juste après, on a fait ça : des croquets...
Découvrez Loïc Lantoine!
jeudi 20 novembre 2008
Jour de grève à Guéret
Aujourd'hui j'ai vu passer les grues et je les ai vraiment regardées.
Ça m'agace toujours quand je suis en pleine séance de lecture et que les enfants s'agitent brusquement en me disant "Maîtresse, maîtresse, les grues !". Ben oui les grues, et alors ?
Mais là, j'étais en grève, j'avais besoin d'un peu de poésie après la manif du matin.
Et donc, je les ai vues se rassembler au-dessus de Fressange.
Au bruit, je suis sortie. Il faisait beau dans le jardin, c'était doux après tous ces jours de grisaille. Elles ont tourné quelques minutes, elles ne semblaient pas décidées sur le chemin à prendre.
Parfois je me demande comment elles font pour le chemin justement, avec toutes ces villes illuminées qui troublent le velours de la nuit, ces ondes qui rayent l'espace en grinçant, le bruit, la fureur des hommes qui couvre l'écho du ressac, toute cette folie.
En tournant, elles se sont déplacées vers l'est, en changeant de formation à chaque rotation.
Et puis finalement elles se sont décidées. Elles sont revenues vers le jardin. J'avais envie de leur faire signe, c'était un peu puéril. Elles ont formé le grand V du voyage et en avançant, c'est devenu une pointe de flèche, et la flèche a filé plein sud.
J'ai songé au grand voyage de Nils. Quand elles reviendront, que serons-nous devenus ? Ce qui est sûr c'est que maintenant je ne m'agacerai plus au passage des grues.
Ça m'agace toujours quand je suis en pleine séance de lecture et que les enfants s'agitent brusquement en me disant "Maîtresse, maîtresse, les grues !". Ben oui les grues, et alors ?
Mais là, j'étais en grève, j'avais besoin d'un peu de poésie après la manif du matin.
Et donc, je les ai vues se rassembler au-dessus de Fressange.
Au bruit, je suis sortie. Il faisait beau dans le jardin, c'était doux après tous ces jours de grisaille. Elles ont tourné quelques minutes, elles ne semblaient pas décidées sur le chemin à prendre.
Parfois je me demande comment elles font pour le chemin justement, avec toutes ces villes illuminées qui troublent le velours de la nuit, ces ondes qui rayent l'espace en grinçant, le bruit, la fureur des hommes qui couvre l'écho du ressac, toute cette folie.
En tournant, elles se sont déplacées vers l'est, en changeant de formation à chaque rotation.
Et puis finalement elles se sont décidées. Elles sont revenues vers le jardin. J'avais envie de leur faire signe, c'était un peu puéril. Elles ont formé le grand V du voyage et en avançant, c'est devenu une pointe de flèche, et la flèche a filé plein sud.
J'ai songé au grand voyage de Nils. Quand elles reviendront, que serons-nous devenus ? Ce qui est sûr c'est que maintenant je ne m'agacerai plus au passage des grues.
Ce sont les enfants qui ont raison de s'émerveiller et de se réjouir de leurs passages annuels.
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mercredi 12 novembre 2008
Crise de foi
Il est en sixième, il a onze ans. Il est revenu avec son sujet de SVT à la maison. Le sujet ressemblait à ça :
"L’influence de l’homme sur notre environnement :
Pour le 24 novembre.
Vous allez constituer un dossier illustré (schémas, dessins, images…) de 4 pages sur l’influence de l’homme sur l’environnement en vous posant les questions suivantes :
Quels sont les aménagements utiles aux hommes ?
De quels matériaux a besoin l’homme pour ses constructions ? Où les trouve-t-il ? Cite des exemples de matériaux et explique les conséquences sur le paysage.
Quelles sont les conséquences de l’action de l’homme sur l’environnement ?
Comment peut-on éviter une destruction de la faune ou la flore ?
Vous pouvez aller vous renseigner au CDI ou bien chercher à la maison (encyclopédie) ou sur Internet (mais ne mettez en aucun cas des pages entières : il faut sélectionner les informations). Certaines pages du livre peuvent vous aider (pages 32 à 39).
Il faudra que vos phrases soient complètes, l’orthographe juste et la propreté de l’ensemble est importante."
J'écris ressemblait parce que ça c'est celui qu'il a trouvé sur internet... Du coup, il a compris pourquoi les pages 32 à 39 de son livre ne parlaient pas du tout de ce sujet. Et pourquoi les parents de ses copains avaient dû se documenter ailleurs pour rédiger ce dossier.
Au lieu de préparer ma classe, plus les heures supplémentaires que je m'appuie pour payer ma maison, j'aurais dû faire comme eux. Mais je lui ai dit de regarder dans le dictionnaire la définition du mot "aménagement" et je l'ai aidé à trier dans le sommaire de son manuel les pages qui pouvaient effectivement être utiles. Il n'aura pas la meilleure note c'est sûr. Est-ce que la fierté d'avoir fait tout seul ça compense vraiment la frustration ?
Quand on écrit des sujets pour les premiers de la classe, à quoi on sert ? De toute façon ceux-là n'ont pas besoin de nous.
C'est pour les autres qu'on se lève. En tout cas, c'est pour les autres que moi je me lève tôt et que je me couche tard. Et pour les autres, les sujets tout prêts pompés sur le net, c'est niet.
Je me souviens d'une remarque d'une des profs de français de mon fils aîné : "Je n'ai absolument pas le temps de faire le programme en classe, il faut bien qu'une partie soit faite à la maison".
Un argument totalement déplacé, qui va convaincre les parents qu'effectivement ils sont capables de faire le travail à notre place. Eux ou les cours de soutien payants.
Je repense à ma voisine, que j'ai trouvée un jour au supermarché en train de photocopier la vieille méthode de lecture, Ratus. "C'est pour emmener chez son père pendant les vacances, il doit faire les 12 pages et les exercices du fichier. Je crois que ça ira, ça fait une page par jour, plus les maths".
Est-ce bien le concept de vacances ?
Et nous à quoi on sert ? Si on n'y arrive pas pendant six heures par jour pourquoi les parents y arriveraient mieux que nous ? Déjà qu'ils n'arrivent pas toujours à faire leur boulot de parents.
Dans ma mémoire est imprimée cette scène du film "Être et avoir" où le gamin se prend des baffes chaque fois qu'il se plante dans les tables de multiplication.
Je vais continuer à ne pas donner de devoirs, à utiliser les punitions qui ne réparent pas avec la plus grande parcimonie. J'aime bien que les parents sachent que c'est moi le maître dans ma classe, ça me donne l'impression d'être un peu utile. On soigne ses névroses comme on peut.
Ah oui, et puis demain faut pas que j'oublie de dire à ma collègue que je l'aime parce qu'elle JE SAIS qu'elle sert à quelque chose.
Et il faut aussi que je pense à pailler le fuschia planté en pleine terre si je veux qu'il passe l'hiver.
"L’influence de l’homme sur notre environnement :
Pour le 24 novembre.
Vous allez constituer un dossier illustré (schémas, dessins, images…) de 4 pages sur l’influence de l’homme sur l’environnement en vous posant les questions suivantes :
Quels sont les aménagements utiles aux hommes ?
De quels matériaux a besoin l’homme pour ses constructions ? Où les trouve-t-il ? Cite des exemples de matériaux et explique les conséquences sur le paysage.
Quelles sont les conséquences de l’action de l’homme sur l’environnement ?
Comment peut-on éviter une destruction de la faune ou la flore ?
Vous pouvez aller vous renseigner au CDI ou bien chercher à la maison (encyclopédie) ou sur Internet (mais ne mettez en aucun cas des pages entières : il faut sélectionner les informations). Certaines pages du livre peuvent vous aider (pages 32 à 39).
Il faudra que vos phrases soient complètes, l’orthographe juste et la propreté de l’ensemble est importante."
J'écris ressemblait parce que ça c'est celui qu'il a trouvé sur internet... Du coup, il a compris pourquoi les pages 32 à 39 de son livre ne parlaient pas du tout de ce sujet. Et pourquoi les parents de ses copains avaient dû se documenter ailleurs pour rédiger ce dossier.
Au lieu de préparer ma classe, plus les heures supplémentaires que je m'appuie pour payer ma maison, j'aurais dû faire comme eux. Mais je lui ai dit de regarder dans le dictionnaire la définition du mot "aménagement" et je l'ai aidé à trier dans le sommaire de son manuel les pages qui pouvaient effectivement être utiles. Il n'aura pas la meilleure note c'est sûr. Est-ce que la fierté d'avoir fait tout seul ça compense vraiment la frustration ?
Quand on écrit des sujets pour les premiers de la classe, à quoi on sert ? De toute façon ceux-là n'ont pas besoin de nous.
C'est pour les autres qu'on se lève. En tout cas, c'est pour les autres que moi je me lève tôt et que je me couche tard. Et pour les autres, les sujets tout prêts pompés sur le net, c'est niet.
Je me souviens d'une remarque d'une des profs de français de mon fils aîné : "Je n'ai absolument pas le temps de faire le programme en classe, il faut bien qu'une partie soit faite à la maison".
Un argument totalement déplacé, qui va convaincre les parents qu'effectivement ils sont capables de faire le travail à notre place. Eux ou les cours de soutien payants.
Je repense à ma voisine, que j'ai trouvée un jour au supermarché en train de photocopier la vieille méthode de lecture, Ratus. "C'est pour emmener chez son père pendant les vacances, il doit faire les 12 pages et les exercices du fichier. Je crois que ça ira, ça fait une page par jour, plus les maths".
Est-ce bien le concept de vacances ?
Et nous à quoi on sert ? Si on n'y arrive pas pendant six heures par jour pourquoi les parents y arriveraient mieux que nous ? Déjà qu'ils n'arrivent pas toujours à faire leur boulot de parents.
Dans ma mémoire est imprimée cette scène du film "Être et avoir" où le gamin se prend des baffes chaque fois qu'il se plante dans les tables de multiplication.
Onze ans et qu'a-t-il appris déjà ? Qu'on rate une interro de musique parce qu'on n'a rien compris à toutes les feuilles jetées dans tous les sens, qu'on ne sait pas où il faut coller. La comparaison de l'architecture de deux bâtiments, cours d'histoire ou d'arts plastiques ? Non non, elle vient bien du cours de musique. Des générations de collégiens dégoûtés par les cours. Heureusement qu'on est une famille de musiciens.
Que dire encore des parents pénibles, inquisiteurs, râleurs ? De ce petit mouvement de recul du papa dyslexique quand il entre dans la classe, de toutes ces pages arrachées qui ont déchiré chaque jour un peu plus l'estime qu'il avait de lui-même, de ces traits vengeurs de stylo rouge vampire de la motivation, toutes les petites humiliations, toutes les grandes douleurs dont les cancres se protègent comme ils peuvent.
J'ai pas envie de servir à ça.
Donc il va finir son dossier tout seul, je l'aiderai pour l'orthographe et les illustrations. On prendra un peu le temps de discuter plutôt du cours de guitare, tant pis pour l'interro de musique.
J'ai pas envie de servir à ça.
Donc il va finir son dossier tout seul, je l'aiderai pour l'orthographe et les illustrations. On prendra un peu le temps de discuter plutôt du cours de guitare, tant pis pour l'interro de musique.
Je vais continuer à ne pas donner de devoirs, à utiliser les punitions qui ne réparent pas avec la plus grande parcimonie. J'aime bien que les parents sachent que c'est moi le maître dans ma classe, ça me donne l'impression d'être un peu utile. On soigne ses névroses comme on peut.
Ah oui, et puis demain faut pas que j'oublie de dire à ma collègue que je l'aime parce qu'elle JE SAIS qu'elle sert à quelque chose.
Et il faut aussi que je pense à pailler le fuschia planté en pleine terre si je veux qu'il passe l'hiver.
dimanche 9 novembre 2008
Mâle d'école
Debout près du pupitre, elle ose à peine respirer. Ça fait comme une boule là, au creux de l'estomac. C'est comme un vide, ou un trop plein. Au bord de la nausée, elle attend. Comme les autres. Il entre, les regarde. Elle le sent, parce qu'elle a les yeux baissés. Si son regard ne croise pas le sien, peut-être qu'il ne la verra pas ? Il les domine de son aigreur, sa rancœur autoritaire les submerge.
Il frappe dans ses mains, la tension se rompt brusquement, comme une bulle, une respiration. Ils s'assoient et le calvaire commence.
Elle sent la peur se propager en filets ruisselants, le longs de tous ses membres. Cette fois, non, elle ne pleurera pas. Elle s'applique, mais ses doigts pas encore finis de gamine se crispent sur le stylo, l'écriture n'est pas aussi déliée qu'elle le souhaiterait. Elle souligne du mieux qu'elle peut. Peut-être qu'aujourd'hui elle échappera à la page arrachée.
Il se lève, passe dans l'allée, elle peut sentir son odeur. Il s'arrête, un regard de côté, non faites qu'il ne se tourne pas vers moi. Le regard balaye impitoyablement la page de son cahier, mais il ne s'arrête pas. Pas sur elle.
Un grondement, un cri bref, la tête de son voisin s'abat brutalement sur le pupitre, face écrasée dans l'encre bleue, nuque enserrée dans une main impitoyable. Dans un flash, elle revoit la longue main d'une maîtresse de l'an dernier. Elle portait de grosses bagues multicolores. Des mains douces, qui soignaient les bobos dans la cour, et réparaient les petites bêtises dans les cahiers. Des mains qui déchiraient soigneusement la page ratée pour la recoller un peu plus loin. Des mains rigolotes aussi, quand elles montraient comment dessiner un hérisson, un canard ou un ours. Mais ces mains là sont parties et celles du maître sont revenues.
Ses parents se sont bien doutés de quelque chose. Elle avait retrouvé le sourire, elle chantait. Jusqu'à ce que la main d'acier reprenne le pouvoir dans la classe. Mais quand ils sont venus voir le maître, il leur a bien fait comprendre que c'était elle le problème, et pas lui. Et ils l'ont cru. Parce que déjà, petits, dans cette même école, ils avaient eu ce maître là. Oui, bien sûr ses parents savaient. Ils n'avaient pas pu oublier la brosse à tableau projetée à la tête de celui qui parlait, les bouts de craies qui volaient. Forcément, ils se souvenaient. Et forcément ils avaient encore peur. Pour elle. Alors ils avaient fait semblant.
Elle les avait trouvés si petits, son père assis à son pupitre, la tête baissée comme un vilain garnement pris en faute. Maman était blanche, presque transparente. En sortant, après avoir passé la porte, ils avaient un peu redressé la tête, et chacun avait saisi une de ses mains. Ils étaient partis sans se retourner.
Le soir maman avait fait des crêpes. Pour se faire pardonner sûrement. Il était tard pourtant, les devoirs avaient duré plus d'une heure.
Mais ils l'ont laissée dans l'école. Avec lui.
A côté d'elle son voisin s'est remis au travail : il recopie la page finalement arrachée. Le maître est retourné à son bureau. Il attend : il va bientôt prendre son poste de caissier au supermarché du savoir. Un à un, en silence, les élèves se lèvent pour faire corriger leur cahier. Pour se faire corriger.
Six heures c'est bien long quand on a peur...
Il frappe dans ses mains, la tension se rompt brusquement, comme une bulle, une respiration. Ils s'assoient et le calvaire commence.
Elle sent la peur se propager en filets ruisselants, le longs de tous ses membres. Cette fois, non, elle ne pleurera pas. Elle s'applique, mais ses doigts pas encore finis de gamine se crispent sur le stylo, l'écriture n'est pas aussi déliée qu'elle le souhaiterait. Elle souligne du mieux qu'elle peut. Peut-être qu'aujourd'hui elle échappera à la page arrachée.
Il se lève, passe dans l'allée, elle peut sentir son odeur. Il s'arrête, un regard de côté, non faites qu'il ne se tourne pas vers moi. Le regard balaye impitoyablement la page de son cahier, mais il ne s'arrête pas. Pas sur elle.
Un grondement, un cri bref, la tête de son voisin s'abat brutalement sur le pupitre, face écrasée dans l'encre bleue, nuque enserrée dans une main impitoyable. Dans un flash, elle revoit la longue main d'une maîtresse de l'an dernier. Elle portait de grosses bagues multicolores. Des mains douces, qui soignaient les bobos dans la cour, et réparaient les petites bêtises dans les cahiers. Des mains qui déchiraient soigneusement la page ratée pour la recoller un peu plus loin. Des mains rigolotes aussi, quand elles montraient comment dessiner un hérisson, un canard ou un ours. Mais ces mains là sont parties et celles du maître sont revenues.
Ses parents se sont bien doutés de quelque chose. Elle avait retrouvé le sourire, elle chantait. Jusqu'à ce que la main d'acier reprenne le pouvoir dans la classe. Mais quand ils sont venus voir le maître, il leur a bien fait comprendre que c'était elle le problème, et pas lui. Et ils l'ont cru. Parce que déjà, petits, dans cette même école, ils avaient eu ce maître là. Oui, bien sûr ses parents savaient. Ils n'avaient pas pu oublier la brosse à tableau projetée à la tête de celui qui parlait, les bouts de craies qui volaient. Forcément, ils se souvenaient. Et forcément ils avaient encore peur. Pour elle. Alors ils avaient fait semblant.
Elle les avait trouvés si petits, son père assis à son pupitre, la tête baissée comme un vilain garnement pris en faute. Maman était blanche, presque transparente. En sortant, après avoir passé la porte, ils avaient un peu redressé la tête, et chacun avait saisi une de ses mains. Ils étaient partis sans se retourner.
Le soir maman avait fait des crêpes. Pour se faire pardonner sûrement. Il était tard pourtant, les devoirs avaient duré plus d'une heure.
Mais ils l'ont laissée dans l'école. Avec lui.
A côté d'elle son voisin s'est remis au travail : il recopie la page finalement arrachée. Le maître est retourné à son bureau. Il attend : il va bientôt prendre son poste de caissier au supermarché du savoir. Un à un, en silence, les élèves se lèvent pour faire corriger leur cahier. Pour se faire corriger.
Six heures c'est bien long quand on a peur...
mercredi 10 septembre 2008
Peur du loup
Je me le rappelle, et je m'en souviens.
Je me souviens qu'il faisait noir. Dans le salon, la lumière était éteinte et dans la pénombre je pouvais deviner les contours de son corps, de son visage de jeune homme.
Je me souviens que face à lui, campée à califourchon sur ses genoux, j'entendais dans son souffle le murmure pressant de son invitation. Il voulait que je pose ma main sur le renflement de son pantalon, et je sentais comme une chaleur monter en moi. Pas celle du plaisir non, mais le fer brûlant de celui qui vous veut, quand son désir pervers vient violemment percuter l'interdit que vous croyiez si puissant.
On ne se méfie jamais assez. J'avais cinq ans, et je rencontrais le loup. Où donc était le chasseur ? Mes parents m'avaient laissée seule avec le loup et son appétit d'ogre a saccagé mon âme vierge, anéanti ma mémoire, fracassé mon enfance.
Je me souviens qu'il faisait noir. Dans le salon, la lumière était éteinte et dans la pénombre je pouvais deviner les contours de son corps, de son visage de jeune homme.
Je me souviens que face à lui, campée à califourchon sur ses genoux, j'entendais dans son souffle le murmure pressant de son invitation. Il voulait que je pose ma main sur le renflement de son pantalon, et je sentais comme une chaleur monter en moi. Pas celle du plaisir non, mais le fer brûlant de celui qui vous veut, quand son désir pervers vient violemment percuter l'interdit que vous croyiez si puissant.
On ne se méfie jamais assez. J'avais cinq ans, et je rencontrais le loup. Où donc était le chasseur ? Mes parents m'avaient laissée seule avec le loup et son appétit d'ogre a saccagé mon âme vierge, anéanti ma mémoire, fracassé mon enfance.
Je me rappelle la peau de son sexe sous mes doigts d'enfants. Je me souviens vaguement de ces mots qui assure que tout est normal.
Même jeune, un loup reste un loup. Maman n'a rien vu, rien su. Maman aurait dû le savoir, elle dont les dentelles avaient été souillées alors qu'elle était bien jeunette. Mais maman a été bien punie. Sept ans plus tard, entre chien et loup, elle a perdu le contrôle de son véhicule sur une petite route de campagne. Maman depuis n'est plus la même, elle est cassée.
Du coup, moi aussi j'ai été bien punie.
Cinq ans, je n'avais que cinq ans ! Et déjà je voyais le loup.
Me reviennent en mémoire le galon sur la peinture du salon, le canapé rouge et noir, et la vague présence de mon petit frère dans la chambre voisine. C'est une empreinte indélébile dans mes souvenirs. La seule. Une falaise sombrant à pic dans un noir océan d'oubli. Depuis tout ce temps j'en suis restée troublée.
Un désordre indescriptible tourmente parfois le flot de mes pensées. Ce loup là a-t-il aussi cueilli d'autres fleurs ?
Il y a quelques temps, le loup m'a écrit. Il m'a demandé si je me souvenais de lui. Le loup doit avoir un genre de conscience, et de l'humour aussi ! Mais je ne crois pas qu'il aimera que je me souvienne de lui...
Même jeune, un loup reste un loup. Maman n'a rien vu, rien su. Maman aurait dû le savoir, elle dont les dentelles avaient été souillées alors qu'elle était bien jeunette. Mais maman a été bien punie. Sept ans plus tard, entre chien et loup, elle a perdu le contrôle de son véhicule sur une petite route de campagne. Maman depuis n'est plus la même, elle est cassée.
Du coup, moi aussi j'ai été bien punie.
Cinq ans, je n'avais que cinq ans ! Et déjà je voyais le loup.
Me reviennent en mémoire le galon sur la peinture du salon, le canapé rouge et noir, et la vague présence de mon petit frère dans la chambre voisine. C'est une empreinte indélébile dans mes souvenirs. La seule. Une falaise sombrant à pic dans un noir océan d'oubli. Depuis tout ce temps j'en suis restée troublée.
Un désordre indescriptible tourmente parfois le flot de mes pensées. Ce loup là a-t-il aussi cueilli d'autres fleurs ?
Il y a quelques temps, le loup m'a écrit. Il m'a demandé si je me souvenais de lui. Le loup doit avoir un genre de conscience, et de l'humour aussi ! Mais je ne crois pas qu'il aimera que je me souvienne de lui...
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