mercredi 10 septembre 2008

Peur du loup

Je me le rappelle, et je m'en souviens.
Je me souviens qu'il faisait noir. Dans le salon, la lumière était éteinte et dans la pénombre je pouvais deviner les contours de son corps, de son visage de jeune homme.
Je me souviens que face à lui, campée à califourchon sur ses genoux, j'entendais dans son souffle le murmure pressant de son invitation. Il voulait que je pose ma main sur le renflement de son pantalon, et je sentais comme une chaleur monter en moi. Pas celle du plaisir non, mais le fer brûlant de celui qui vous veut, quand son désir pervers vient violemment percuter l'interdit que vous croyiez si puissant.
On ne se méfie jamais assez. J'avais quatre ans, et je rencontrais le loup. Où donc était le chasseur ? Mes parents m'avaient laissée seule avec le loup et son appétit d'ogre a saccagé mon âme vierge, anéanti ma mémoire, fracassé mon enfance.
Même jeune, un loup reste un loup. Maman n'a rien vu, rien su. Maman aurait dû le savoir, elle dont les dentelles avaient été souillées alors qu'elle était bien jeunette. Mais maman a été bien punie. Sept ans plus tard, entre chien et loup, elle a perdu le contrôle de son véhicule sur une petite route de campagne. Maman depuis n'est plus la même, elle est cassée.
Du coup, moi aussi j'ai été bien punie.
Quatre ans, je n'avais que quatre ans ! Et déjà je voyais le loup.
Me reviennent en mémoire le galon sur la peinture du salon, le canapé rouge et noir, et la vague présence de mon petit frère dans la chambre voisine. C'est une empreinte indélébile dans mes souvenirs. La seule. Une falaise sombrant à pic dans un noir océan d'oubli. Depuis tout ce temps j'en suis restée troublée.
Un désordre indescriptible tourmente parfois le flot de mes pensées. Ce loup là a-t-il aussi cueilli d'autres fleurs ?
Il y a quelques temps, le loup m'a écrit. Il m'a demandé si je me souvenais de lui. Le loup doit avoir un genre de conscience, et de l'humour aussi ! Mais je ne crois pas qu'il aimera que je me souvienne de lui...