C'est que le temps de Noël, c'est le temps d'être ensemble.
Le temps de se regarder, d'être à l'affût des petites choses, ce qui change, ce qui reste.
Le temps des lumières qui adoucissent la nuit sombre.
Le temps de l'espoir : la nuit la plus longue oui,
elle annonce les jours qui vont rallonger.
Et c'est vrai que c'est bon de se retrouver, et de rire, de préparer, de manger.
Mais Noël c'est aussi le temps de l'absence et de l'abandon.
La place qui reste vide à table, celle de celui ou celle qu'on a perdu.
Qui est mort.
Ou parti.
Le premier Noël de l'absent surtout. Toutes les premières fois en fait. Mais plus particulièrement celle-là.
On a du mal à être là, avec les autres, justement à cause de celui qui manque.
C'est le temps délicieux et cruel des souvenirs.
Les bons.
Les mauvais.
Ou pire : ceux qui n'existent pas.
Parfois l'absent n'est pas parti. Il est absenté par quelqu'un.
Un papa qu'on ne connaît pas ; des frères ou des sœurs qu'on n'a jamais vus ; des cousins oubliés ; un enfant qui s'est marié et qui vous a oublié.
C'est le temps des placards qui s'entrouvrent sur les secrets qu'on y a enfermés. On voit comme les autres s'arque-boutent sur ces non-dits. Comme ils y tiennent. C'est l'étayage de toute leur vie, la justification de leurs choix. Quand on est petit, on voit juste la porte entrebâillée, on est curieux et gêné à la fois de ces chuchotements.
Puis on grandit, et ça devient insupportable.
Les guirlandes, les étoiles, les cœurs, camouflent le manque, le vide ; ça ne le comble pas.
C'est pour ça que Noël peut-être terrible.
Au supermarché, (où je déteste traîner en cette période, mais où je me dois aussi de dépenser avant le 31 décembre l'argent qui m'a été remboursé ...)
j'ai entendu le rire gêné de la dame qui explique qu'elle est seule à Noël, parce que ses enfants ....
et l'autre, qui lui avait posé la question, encore plus gênée, qui lui souhaite un bon Noël "quand même" et tourne les talons sans penser à l'inviter au moins pour le goûter
et puis j'ai vu ce couple qui comptait chaque centime des nouilles, du pâté de foie et de la bûche premier prix
- ça m'a fait penser quand j'étais petite et qu'on faisait des crêpes parce qu'on n'avait pas d'argent,
et pas de maman non plus du reste,
et après, on s'allongeait sur la moquette et on regardait l'unique chaîne télé en noir et blanc,
que c'était trop la honte de rentrer en janvier au collège,
sans avoir vu LE film sur la deuxième chaîne en couleurs ;
je me suis souvenue
-mais j'y pense chaque année -
des lumières qui clignotaient chez les autres, ceux qui avaient un sapin,
et du cadeau qu'on achetait quand même à mon petit frère,
en janvier, parce que c'était moins 50 % ;
et d'ailleurs, ça aussi ça craignait vraiment,
de ne pas pouvoir dire ce qu'on avait reçu, ou d'être obligée de mentir -
Après, à la caisse, j'ai regardé les chariots pleins à ras bord de nourriture à profusionet puis ceux comme celui du couple au pâté de foie.
Puis je suis rentrée chez moi,
retrouver mes enfants
mes loutres
mes dobermans
et j'ai été bien contente qu'on soit tous ensemble le soir.
Enfin ça
c'était jusqu'à ce que le saladier de crème anglaise se retourne dans le réfrigérateur
et forme un petit lac dans la cuisine
après s'être perfidement glissée dans le bac à légumes
je leur ai fait croire que ce que j'ai servi à table c'était ce que j'avais récupéré à l'éponge (d'où les petits grains noirs dedans)
ben ils l'ont mangée quand même
les chiens !
Édit : j'aurais dû inviter la dame moi-même, parce que j'étais la seule femme à table, comme chaque année...
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