Trois passagers en covoiturage, un qui descend à Poitiers.
La dernière à embarquer est une femme un peu plus âgée que moi, qui vient s'occuper de son petit-fils quelques jours. C'est sa fille qui a réservé pour elle et qui viendra la chercher à l'arrivée.
Elle est sympa, elle connait la route, et elle a des bonbons "stop toue" à la réglisse, petite réminiscence de ma grand-mère. Elle n'est pas bavarde.
Je m'apprête à dépose mes deux derniers passagers devant le stade Beaublanc.
Elle dit, après un gros soupir : "Bon, voilà, je vais retrouver ma fille unique. J'en avais deux, mais une m'a été enlevée ".
Gros blanc dans le Berlingo.
"- Elle s'est suicidée pendant le COVID. Elle avait 27 ans.
- Oh je suis désolée. C'est une douleur terrible et pas dans l'ordre des choses d'accompagner ses enfants au cimetière.
- Ça fait quatre ans maintenant. moi j'ai vieilli de dix ans d'un seul coup. On avait pique-niqué, et voilà, c'est moi qui l'ai trouvée. Elle était éducatrice, elle rentrait d'une mission à Madagascar. Elle a été très mal prise en charge, encore maintenant je ne sais pas si je dois porter plainte contre la psychiatre qui l'a abandonnée.
- Quatre ans ce n'est pas beaucoup pour un tel deuil. Porter plainte, est-ce que ça vous aidera ou est-ce que ça mangera votre énergie ?
- Excusez-moi, j'avais besoin de le dire. On n'en parle jamais ni avec mon mari, ni avec sa soeur. Ils ne veulent pas. Je ne voulais pas jeter un froid dans la voiture ..
- Ah, mais il fallait que ça sorte. C'est souvent plus facile comme ça avec des étrangers. Ma fille était si dévouée aux autres, je voudrais qu'on se souvienne d'elle. C'est ça aussi porter plainte."
L'autre passager évoque brièvement le deuil, les doute de sa propre fille, jeune éducatrice aussi.
Il ne nous vient pas d'autre propos que celui de la compassion. Quel conseil aurions-nous à donner ? C'est si fort et si bref
Et puis nous descendons et sa fille arrive. Nous parlons d'autre chose. Avant de nous séparer, je la prends dans mes bras et je sens que cela lui fait du bien. Elle me souhaite un beau voyage.
Demain j'enverrai un message a Yolande, pour lui suggérer d'écrire ce qu'elle a sur le coeur. Si elle veut, à mon retour, je l'aiderai à mettre son histoire en forme.
3 commentaires:
Très touchée par cette humanité qui vous traverse à qui Yolande se confie. Quelle douleur, quel chagrin ! J'ai vu il y a quelques temps au cinéma un documentaire de Katia Chapoutier intitulé La vie après le suicide d'un proche. La soeur de la réalisatrice s'est suicidée et il y a des témoignages de parents, fratrie (une soeur dont les deux frères sont morts par suicide) et, avec le temps, des retrouvailles entre ces familles, des moments intenses, joyeux aussi...
Bravo à vous et aux deux autres voyageurs d'avoir pu accueillir ces paroles qui ont dû faire tant de bien à Yolande. C'est terrible pour elle de ne pas pouvoir évoquer sa fille avec ses plus proches alors elle le fait avec des inconnu.es moins affecté.es mais pas du tout indifférent.es
Merci pour elle.
Bon voyage et au plaisir de vous suivre.
Oui c'est plus facile avec des inconnus de se confier : on peut vivre des confidences incroyables dans un train ou une salle d'attente ! Anne d'Alsace
Très forts témoignages
Très forts moments
Compassion oui
écouter soutenir et créer un lien pour plus tard peut être ...être là ... sortir les mots
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