J'avais dit
je veux bien me déplacer pour les vivants
mais pas pour les morts.
Finalement
j'y suis allée
au cimetière de Vornay
parce que ça lui aurait fait plaisir.
Deux heures de route
sous une pluie battante
à sillonner ce Berry si plat, si droit.
Une fois arrivée
le ciel s'est fait plus serein.
J'ai un peu jardiné
discuté avec lui, donné des nouvelles des enfants
pensé que c'est un peu ridicule de parler à une urne glissée dans un caveau
regardé les quatre noms en lettres d'or sur le marbre.
Puis je me suis souvenue que,
quand nous venions autrefois,
il parcourait les allées dont il connaissait presque chaque résident.
Puisque le ciel était toujours clément
moi aussi je me suis promenée
en réalisant qu'une partie de cette mémoire est partie avec lui.
J'avais posé beaucoup de questions
mais ce n'était pas encore assez.
Alors je suis retournée à la voiture et j'ai commencé à noter des noms, des souvenirs, des questions.
L'oncle Louis Rousseau, le frère de mon grand-père, marié à Germaine Massonat, la sœur de ma grand-mère, le même jour que mes grands-parents. Sur la pierre, sous la mousse, on peut encore lire "
assassiné par les nazis". L'oncle Louis est mort trois jours avant l'arrivée des russes à Gusen-Mauthausen en Autriche. Cheminot, résistant communiste, il n'avait pas eu la chance de mon grand-père, récupéré de justesse à Compiègne par la SNCF, qui l'avait envoyé ensuite en zone libre.
Quelques temps après, mon grand-père Michel, dit Gaston, est venu avec son vélo jusqu'à la ligne de démarcation, pour signer les papiers d'engagement de mon père, encore mineur.
Matelot fourrier dans la marine, il disait qu'après les arrestations, avec son frère dans le maquis, c'est cet engagement qui lui avait sauvé la vie.
A la libération, Gaston a eu dans la ligne de mire de son fusil de chasse le type qu'il pensait signataire de leur dénonciation. C'est qu'en 1945, il y en a eu un paquet, des accidents de chasse. Mais au dernier moment, il a renoncé, parce qu'il s'est dit "
et si ce n'est pas lui ?".
Un peu plus loin, j'ai retrouvé la tombe d'Albertine Rousseau, la tante Titine, sœur de mon grand-père, et de son mari Henri Jacquet. Tous les deux détestaient mon père. Ma cousine pense que c'est à cause de ses bêtises d'adulte, mais je me suis souvenue que ça remontait à bien plus loin que ça. A quatre ans, mon père qui savait déjà lire et écrire, était dans la classe de l'oncle Henri, instituteur de son état, qui prenait plaisir à l'humilier quotidiennement.
Derrière leur pierre, il y avait une autre tombe, très ancienne, marquée du double nom "
Rousseau-Jacquet". Je me suis demandée pourquoi.
Continuant mon chemin, je me suis arrêtée devant la tombe de mon arrière grand-père Gervais Rousseau, et de sa femme, Mélanie Jay. Le nom d'Aimé Paris, 1921-1925, m'a sauté aux yeux. Pourquoi cet enfant, avec un nom différent, était-il enterré là ?
J'en étais là de mes cogitations,
quand un couple est arrivé.
Le monsieur m'a demandé si j'avais besoin d'aide.
C'est un conseiller municipal de la commune, passionné de généalogie.
En discutant avec lui, l'histoire a fait écho dans ma mémoire : Aimé était le fils de la tante Olga, une sœur de mon grand-père, qui tenait un café. Depuis tout petit, il finissait les verres des clients.
Il est mort d'alcoolisme à 4 ans,
et je suppose que c'est à la mort de ses grands-parents qu'il a été placé dans le même caveau.
Quand je suis rentrée chez moi le soir
monsieur Fontaine m'avait envoyé l'arbre généalogique des Rousseau.
Ensuite il a ajouté celui d'une autre famille homonyme.
J'ai alors compris que les Jacquet étaient en fait issus de cette autre famille Rousseau,
et que le père de l'oncle Henri était en fait marié à une sœur de ma grand-mère.
Je me suis dit que la prochaine fois que je me déplacerai pour les morts
j'irai aussi à la mairie consulter les registres pour en savoir plus.
Je me lance dans la psycho-généalogie.
Parce que, si ça se trouve
ce sont les morts qui nous tiennent vivants.
C'est drôle
mais je me suis rendue compte
que j'habite près du chemin de St Jacques
Embraud est sur le chemin de St Jacques
Vornay est sur le chemin de St Jacques
et Osmery, d'où venait mon arrière-grand-père avant d'arriver à Vornay
est aussi sur cette même voie de Vézelay.