vendredi 30 mai 2014

La vérité toute nue

Pour reprendre ma métaphore cordonnière préférée,
je ne vois pas comment marcher autrement que pieds nus désormais.
Sans regard sur moi.
Hier, j'ai rangé les hypothétiques tentatives de rapprochement dans la catégorie fantasme,
celle qui te fait prendre la réalité pour du désir.
Quand je l'ai vu avec les mêmes ballerines que la semaine dernière,
j'ai clairement su sur quel pied danser : ces chaussures-là sont consignées,
il faut les rendre après usage.
Elles ne sont pas pour moi.
Pas de gêne, et beaucoup de plaisir.

C'est qu'il m'arrive parfois de rencontrer celle que je suis vraiment.
La plupart du temps, je n'y pense pas. Je vis ma vie, et c'est tout.
Je marche et je me sens libre.
Je nage et je me sens légère.
Je danse et je me sens tanguer.
Je ris et je me sens avec.
Je travaille et je me sens utile (un peu).
J'aime et je me sens aimée.

Soudain, je me vois.
telle que je me suis croisée une fois dans la vitrine d'un magasin,
stupéfaite à 20 ans, de l'image de cette grosse dame qui me regardait interdite, statufiée,
je surprends mon image sur un cliché de fête,
mon reflet dans une porte vitrée.
Et c'est le choc.
Je sais que c'est moi,
et il n'y a rien à dire là-dessus.
Trente ans après, sur ce plan là, rien n'a changé : je ne me reconnais ni dans ces bras lourds, ni dans cette silhouette écrasante.
Emprisonnée à l'intérieur de mon corps,
une petite fille crie encore sa détresse,
et se cache aux yeux du monde qu'elle aime tant pourtant.
Je souffre alors terriblement de me voir si peu aimable,
et de cette imposture à moi-même.
Il me faut respirer calmement plusieurs minutes pour laisser passer l'angoisse terrible qui m'étreint.
Oui, je vieillirai seule,
parce que je sens que  c'est mieux pour moi.

Il n'en résulte ni tristesse, ni amertume,
juste une irrépressible envie de vivre sans attendre.
Une sorte d'apaisement quotidien,
dont le prix à payer serait quelques rares assauts de mélancolie.
C'est ça qui a changé.


Une des magnifiques et émouvantes photos du site de Jane Beall
La vérité toute nue du corps des femmes....

1 commentaire:

Barbara a dit…

je viens de lire le projet de AW Jackson (lu en diagonale pressée) mais c'est un peu du même style regarde

ici