dimanche 27 janvier 2019

Du prix du sang et de la magnanimité de l'univers

Je vais livrer ici une expérience intime et très personnelle.
Je crois que ça pourra être utile à d'autres.



Je viens d'obtenir, sur mon livret de famille, l'inscription d'un enfant né sans vie en 1999.
A l'époque j'avais été arrêté dans le cadre d'un congé de maternité.
Et même si nous ne l'avons pas élevé, cela ouvre des droits supplémentaires pour la retraite (pour la durée d'assurance).
Quand j'ai découvert cela l'été dernier, et même si c'était douloureux de remuer ce passé,
vu ma situation, j'ai immédiatement appelé l'hôpital de Guéret afin qu'ils m'adressent un justificatif.

Or, le médecin m'avait fait envoyer un courrier long comme le bras, bourré de détails médicaux, le traitement qui m'avait été administré... autant d'éléments que tu ne peux pas communiquer à une caisse de retraite.
Et bien sûr il avait mentionné le nombre de semaines d’aménorrhée,
en précisant que l'examen montrait une mort fœtale très antérieure.
Or, pour être recevable, l'attestation doit mentionner le mot "accouchement", car sont écartées les fausses-couches précoces.

J'avais rappelé le secrétariat et précisé à mon interlocutrice que ce document était inacceptable,
et qu'en outre vu le comportement qu'avait eu ce médecin à l'époque,
il valait mieux pour lui que je n'ai pas à me déplacer personnellement pour venir chercher ce papier,
car tout le service, et notamment la salle d'attente, s'en souviendrait longtemps.

Quelques jours après, j'avais reçu la même "attestation",
 édulcorée des traitements, mais toujours sans le mot accouchement,
et avec la même petite phrase qui savonne bien la planche.

J'ai laissé passer le temps de la colère et de l'émotion.
ça a fait tout remonter.
L'arrivée à l'hôpital pour de légères traces de sang.
La sage-femme quittant précipitamment la pièce.
Son retour avec ce médecin inconnu, qui n'avait eu aucun regard, aucune parole pour moi.
Même pas bonjour.
Il avait regardé l'écran et dit :"Evidemment qu'il est mort, il est mort depuis au moins un mois."
Et il était ressorti.
On s'était regardé elle et moi, et j'avais éclaté en sanglots.
Quelques heures plus tard, bourrée d’ocytocine, j'étais allongée dans une pièce,
à attendre une délivrance qui ne venait pas.
Une autre sage-femme était venue, et m'avait dit : "il faut le laisser partir maintenant."
Et c'est ce que j'ai fait, en pleurant doucement.
Elle a demandé si je voulais le voir.
J'ai dit oui.
C'était un petit garçon.

Et voilà que dix ans plus tard,
ce médecin sans âme,
et qui n'était même pas là,
croisé chaque jour à la salle de gym pendant quelques années,
mettait comme un point d'honneur à sous entendre
qu'il ne s'agissait pas vraiment d'un accouchement ?

Le remède est pour moi dans l'action,
mes réflexes de juriste ont repris le dessus.
Et j'ai procédé à quelques recherches.
Depuis une série d'arrêts de la Cour de cassation, du 6 février 2008, il n'est plus possible d'opposer le seuil de 22 semaines d’aménorrhée à la reconnaissance d'un enfant né sans vie.
Cependant, l'officier d'état-civil a besoin d'un certificat d'accouchement.
Quant aux caisses de retraite, elles sont supposées accepter la preuve par tout moyen.
Sauf que tu t'imagines dans quoi tu vas t'engager pour y arriver...
Le plus simple, c'est quand même la mention sur le livret de famille.


J'ai décidé d'appeler la mairie de Guéret et de poser la question.
Je pense que j'ai alors bénéficié de deux éléments : le premier, c'est qu'on est dans une petite ville de la Creuse, ce n'est pas l'anonymat des grandes cités..
Les gens t'écoutent, ils sont généralement bienveillants et prêts à t'aider, ce n'est pas la première fois que je le remarque.
Le deuxième, c'est que j'ai eu affaire à des femmes, d'un bout à l'autre du circuit.

A l'état-civil, une femme, justement, m'a écoutée patiemment.
Elle a noté la jurisprudence.
Et elle a dit : "Je regarde ça , et je vous rappelle."

Le temps m'a paru long.
Mais j'ai décidé de garder confiance et de ne pas retéléphoner encore.
Elle a tenu parole.
Elle a rappelé une semaine plus tard, elle avait tout arrangé.
Elle avait écrit à l'hôpital.
Qui m'a donné raison et a délivré le fameux certificat d'accouchement,
apparemment établi par une sage-femme présente à l'époque.
Je n'ai rien vu de tout ça.
C'est mon ex-mari qui a, gentiment et patiemment, tout géré ensuite.

Mais en revanche,
j'ai reçu sur mon portable un message dudit médecin,
me disant qu'il n'avait jamais refusé de m'établir ce certificat,
que c'est moi qui n'avait pas formulé correctement ma demande (WTF ???)
mais que ça allait être fait.
Vu qu'il a fallu aller chercher le document à la direction,
à mon avis il y avait eu un petit réglage en haut lieu.
Et c'est très bien comme ça.

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Alors tu vois,
cette idée jetée en violence dans mon esprit,
d'avoir un cadavre dans mon ventre depuis des semaines,
sans aucune compassion,
elle m'a hantée longtemps.
Ce n'était que deux semaines en fait, puisqu'à ce moment là j'avais eu une amniosynthèse,
et que tout était normal.
Mais quand même, les mots de cet homme m'avaient profondément blessée.

Et puis un jour, j'ai rêvé de ce garçon devenu grand,
On fêtait l'anniversaire de ses dix ans justement.
et il m'a dit que tout allait bien,
que je ne devais plus être triste.
C'est à ce moment là que je suis retournée dans mon entreprise pour me faire licencier,
que j'ai passé les tests d'entrée à l'IUFM de Guéret.
Sans lui je ne serais peut-être jamais devenue enseignante,
je n'aurais pas découvert la musique traditionnelle,
je ne serais pas partie en Louisiane.
Aujourd'hui il contribue aussi, comme la mort de ma mère, à m'offrir une liberté anticipée.

C'est étrange comme un malheur qui ne fait aucun sens,
prend une autre couleur quand tu regardes dix ans en arrière.

No hay mal que por bien no venga.




3 commentaires:

Barbara a dit…

encore beaucoup de souffrance de non- dit d'aberrations sur lesquelles il est difficile de mettre des mots
d'autant que comme tu le dis c'est si intime

mais magnifique aussi ces espoirs cet espoir cette résilience

juste merci
et je te serre dans mes bras

tant de blessures tant de felures qui font que tu es toi, qui t'ont construite qui te forge
mais bon si désormais ça pouvait se calmer et la vie t'offrir seulement des cadeaux des bonheurs, de la joie
....

Madame Nicole a dit…

Je dirais que ça se calme Barbara. Chaque jour je m'émerveille de voir comment le puzzle se met en place... Tout ce que j'ai, les gens autour de moi, assez d'argent pour vivre correctement, me lever sans peine chaque matin, les voyages, la musique, la danse, et bien sûr mes garçons et petit-garçon... Les tempêtes s'apaisent dans mon cœur.
Quelque part je me dis que l'Univers me donne une belle chance de vivre quelques années de liberté, d'écriture...et que c'est ancré dans le présent, pas à espérer pour plus tard.
Même si, évidemment, j'ai hâte d'arrêter de travailler.

Barbara a dit…

@Coline

merci pour pour ta réponse
cette réponse
je te souhaite plein de "bon" de sérénité de bonheurs tu le sais
je t'embrasse