Mon père m'a dit : "Tu es sûre de toi ? C'est fini ? Tu ne penses pas que tu fais une bêtise ?"
Ma meilleure copine m'a demandé si j'étais devenue folle.
Puis elle a conclu que j'avais eu peur.
Et en un sens, elle n'avait pas tort.
" - Mais pourquoi tu as fait ça ?
- Je ne sais pas. Je savais qu'il fallait le faire, c'est tout".
Les vingt années suivantes, plus ou moins, j'ai vécu avec cette petite culpabilité.
Celle de lui avoir fait une peine infinie,
dans cette chambre d'hôtel, un hiver, à Munich.
Celle d'être passée à côté d'une chance inespérée : épouser un type adorable, cultivé, prévenant, drôle et tendre, qui aimait voyager, avec des mains amoureuses.
Et, accessoirement, un job en or, à New-York, aux Nations-Unies...
Quand c'était la lose côté cœur,
quand je me disais que je n'avais pas su choisir le bon père pour mes enfants,
j'y repensais, et parfois, ça me faisait un peu mal,
d'avoir tellement manqué de clairvoyance.
On s'est revu en pointillé, on se donnait des nouvelles.
La dernière fois en chair et en os,
c'était quand j'étais enceinte du petit dernier.
Dix-sept ans.
Comme toute fille qui se respecte, j'ai posé LA question :
"- Tu as quelqu'un ?
- Oui.
- Raconte !"
Il a eu l'air un peu gêné. Le même air que, quelques années plus tard, quand je me suis inquiétée qu'il n'ait pas encore d'enfant, lui qui y tenait tant.
" - Elle s'appelle Louise.... Elle n'a pas la langue dans sa poche..."
Il ne m'envoyait jamais de photos.
Il me disait qu'ils avaient un appartement à Manhattan, et un petit chien.
Je me pensais qu'un chien, quand même, c'est pas un enfant.
"Elle ne peut pas en avoir...On pense à adopter".
Je me demandais s'il était vraiment heureux, et si c'était de ma faute, cette gêne entre nous.
Toujours cette culpabilité.
Et puis un matin,
je me suis réveillée.
Et j'ai su.
J'ai su avec une certitude si absolue, que je lui ai immédiatement envoyé un mail.
"C'est bon, il y a prescription maintenant. Tu peux me le dire que Louise, en fait, c'est Louis."
Gros jeu.
Gros risque.
Gros gain.
Il m'a appelé :
"- Comment tu as a su ?
- Je l'ai toujours su. Avant toi, si ça se trouve. Pourquoi n'as-tu rien dit ?
- Je ne voulais pas te faire de la peine ; que ça remette en cause nos cinq années ensemble, et l'amour sincère que j'éprouvais pour toi.
- Oui, mais moi, toutes ces années, j'ai cru que j'avais commis une erreur terrible en ne t'épousant pas. Je n'avais aucune raison valable."
Vingt-cinq ans après, ils sont toujours ensemble.
La preuve que, même quand j'ai tort, j'ai raison, ah, ah.
Vendredi soir,
je suis montée à Paris
Il y avait du soleil sur les Tuileries et une grande conférence des statisticiens de l'OCDE.
On s'est retrouvé tous les trois, quai n°1 de la gare Saint-Lazare, lui, ma copine, et moi.
On marché jusqu'au faubourg Saint-Honoré,
mangé coréen,
remonté les champs Elysées jusqu'au Petit Palais.
Vous saviez qu'il a été construit pour l'Exposition universelle ?
Paris 1900.
Echanges de souvenirs et de confidences.
Éclats de rire, et pizzas chez elle.
Champagne.
Les trois mousquetaires vingt ans après.
Quand je suis rentrée dimanche,
j'ai ressorti un vieil album,
celui de nos années ensemble.
Souvent je repense à l'année passée dans sa famille, à apprendre l'allemand,
aux repas du dimanche, aux promenades le long du canal,
à leur déception quand j'ai rompu.
Je crois que c'était mon destin de le croiser pour apprendre la vie de famille,
pour m'aider à me reconstruire sur les ruines de mes jeunes années si noires.
Mon premier sac.
Si lourd.
Mes premiers pas.
Debout.
C'était lui.
Notre prochain rendez-vous,
7 commentaires:
J'aime ta 1ère photo où on te voit toute jeunette :)
J'avais 21 ans
et déjà beaucoup vécu.
Moi aussi j'aime cette photo.
J'aime comment tu écris!
Flo
merci flo
Une histoire tellement poignante...
C'est toi en short en Grèce ?
voui...
Enregistrer un commentaire