d'être en pilotage automatique,
un quotidien répétitif de rituels
qu'on accomplit machinalement
sans qu'il n'en reste rien de notable.
Un peu comme quand on emprunte une route familière
et qu'on se demande
une heure plus tard
comment on est arrivé là.
Et puis, il y a des instants qu'on saisit au vol,
qui s'impriment au creux du cœur,
pourquoi ceux-là plutôt que d'autres ?
Des moments où l'on était vraiment présent,
le temps suspend sa course,
quelques secondes de grâce.
Mon vendredi n'a pas ressemblé à tous les vendredis.
L'élève de la Saunière était absent,
à 11h30, je prends la route pour Sardent, directement depuis Aubusson.
D941
interminable
toute droite sous les arbres
entre deux banquettes d'herbe sur les talus.
Sur le bas-côté,
un type marche, le pouce tendu.
C'est devenu rare les auto-stoppeurs.
Et sur cette route, les voitures sont rares elles aussi, surtout à midi.
Je m'arrête.
"- Je vais à Limoges..
- Désolée, je ne vais qu'à Sardent.
- Vous pouvez m'avancer, parce que là... hein...
- Oui, bien sûr."
Il vient de Lyon, mais aujourd'hui de Clermont.
Objectif pour cette nuit : Angoulême.
Il traverse la France d'est en en ouest,
en stop.
Il est étudiant en anthropologie, c'est le sujet de sa thèse.
Je réalise que des auto-stoppeurs, il y en a de moins en moins.
Avec internet, tout le monde covoiture désormais.
Dans notre département désertique et méfiant en plus...
"- Vous avez quand même de la chance, il fait beau et doux aujourd'hui.
- Oui, c'est vraiment très joli. Il y avait des petits papillons jaunes tout le long du chemin. J'aime beaucoup. Mais ça devenait long là, je n'en voyais pas le bout.
- Et c'est quoi le plan quand on devient anthropologue, après ?
- Soit prof, soit chômeur. Mais moi, je veux devenir documentariste. J'ai un copain étudiant en audio-visuel. On a déjà commencé un documentaire sur des supporters de Saint-Étienne, des ouvriers. On étudie les aller-retours entre leur condition sociale, le foot, la rivalité avec l'O.L ; ça se joue aussi sur ce terrain, Lyon est une ville plus bourgeoise."
J'écoute, j'aime bien.
"- Je crois que je vais vous laisser là, à Pontarion, sinon, Sardent, ça va encore vous décentrer ; devant la station, on vous verra bien, et les voitures peuvent s'arrêter.
Vous trouverez bien quelqu'un pour vous emmener à Bourganeuf déjà. Après, je pense que ça marchera mieux, parce qu'il y aura plus de passage."
Nos routes se séparent ici.
J'ai oublié de lui demander son prénom.
Un peu plus tard, je grimpe sur les hauteurs de Sardent,
je dépasse l'école, j'ai envie de plein-air pour ce premier déjeuner de printemps.
Quelque chose de grand, quelque chose de beau.
Et de marcher aussi.
Là
ce sera bien.
Sur le panneau, il est écrit CHAPELLE.
Et en effet,
je l'aperçois, dans le taillis, sur la butte.
Mais il fait si doux, et j'ai encore du temps,
alors à la croisée, je prends à droite,
Au bout du bout,
une fontaine.
Je n'ai pas d'épingle à cheveux.
Dommage.
Si on jette son épingle dans la fontaine,
on se marie dans l'année.
En même temps, ce n'est pas grave,
qui voudrait d'un mari
à mon âge ?
Le chemin dans l'autre sens a une autre couleur.
J'aime changer de point de vue.
Je grimpe sur la butte.
Elle est là, un peu fantomatique.
Je pense à Catherine,
qui aimerait cet endroit.
Quelqu'un est venu pour les rameaux.
La porte est fermée, mais on peut apercevoir l'ermite en collant le nez entre les barreaux.
En contournant la chapelle,
sur le tapis brun et sec de feuilles mortes,
la corolle violette d'un crocus a pris vie.
A peine pointé l'objectif,
un papillon citron apparaît,
clic
flou
mais je sais à ce moment,
que l'auto-stoppeur est dans une voiture pour Limoges.
Ce matin,
il pleut.
2 commentaires:
merci pour ce magnifique récit de moments vécus et partagés
merci , Coline ...... cette balade que tu nous offres est un beau cadeau ♥
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