J'ai commencé par une petite chose, assez anodine.
Laisser apparaître mes cheveux gris. Je ne les ai jamais vraiment vus, j'applique du henné depuis plus de trente ans. L'an dernier encore je n'étais pas prête. Et là, soudain, j'en ai eu assez.
Mon camp de base est désormais la Bretagne des bois. Dans le Bourbonnais je m'étais réparée. Ici je veux m'épanouir. Ce n'est pas toujours facile. Allées et venues du quotidien de Madame Nicole en pays Pourlet.
Au moment où j'écris, mon ex-mari, le père de mes enfants, gît sur un lit d'hôpital, en s'éteignant chaque jour.
Il lutte à la fois contre un mauvais covid et un avc. Chaque jour ils augmentent la quantité d'oxygène, chaque jour son souffle s'affaiblit. Il a expressément demandé à ne pas être ranimé s'il fallait en venir à l'intubation. Nos deux fils sont auprès de lui, et gèrent de leur mieux.
Nous voici donc à la fin du mois qui ne se découvre pas d'un fil.
Je me faisais une joie de la parenthèse des vacances de printemps, et d'accueillir, dans cette maison qui n'est pas vraiment la mienne, Franzouski, Maiia et Vania.
C'est triste à dire, mais ce furent vraiment des vacances de merde.
Ils étaient pourtant arrivés dans la joie, après une longue route. Oui la Bretagne c'est beau, mais c'est loin de tout. Franzouski s'était blessé au genou, il devait rentrer plus tôt que prévu, pour voir un médecin du sport. Première déception.
Heureusement, il faisait beau, et nous avons pu profiter d'une journée de plage, faire connaissance avec les enfants de mon amoureux, et même réunir les petits-enfants pour une journée de plein air.
Hélas, le soir les ennuis commençaient. Vomito et compagnie, gastro en chaîne pour toute la petite famille, carottes, riz, compote et machines à laver pour moi. Deuxième coup de semonce.
Franzouski m'avait dit que son père était malade et avait du mal à se remettre. Le coup de grâce est venu. Appel téléphonique, il ne sentait plus son bras droit. J'ai tout de suite compris. AVC. J'ai dit : "raccroche et appelez immédiatement le 15". Deux heures après il était évacué de l'hôpital local vers le CHU régional, dans la ville où vit Franzouski.
Le lendemain, la famille encore un peu nauséeuse, a remballé vite fait ses valises pour rentrer. De son côté, le Kid, qui est toujours un peu plus long à la détente, a fini par se mettre en route. Il n'avait pas réalisé la gravité de la situation, et ce fut un choc immense de voir son père terrassé. Depuis, les deux frères passent l'après-midi dans cette chambre a parler de choses et d'autres. Ils tiennent la main de leur père, qui les entend et doit être fier d'eux.
Là, tout de suite, on ne sait pas ce qui va se passer. En marchant, chaque matin, je resonge à mon erreur de casting en choisissant cet homme, à qui j'ai donné dix ans de ma vie, mais avec lequel j'ai aussi eu deux enfants. Ce n'est pas une chose que l'on puisse regretter. Sa violence qui m'a conduite à le quitter, et que nos fils n'ont jamais vraiment entendue, me reprochant parfois mes actes, avec une forme d'injustice que je n'ai jamais bien vécue. Il paraît que, spontanément, les enfants défendent le parent qu'ils estiment être le plus fragile.
Ce qui est certain c'est que nous avons toujours passé Noël tous ensemble. Qu'il était là à faire rigoler ma mère en ce 25 décembre 2017, juste une semaine avant qu'elle ne meure. Que ces dernières années, il a eu un comportement non seulement correct, mais aussi aidant, avec ses fils, comme avec moi. C'est un homme avec un très fort instinct de conservation. Il se bat. Chaque matin je contemple l'idée de sa souffrance, et j'envoie tout ce que je peux de pardon, de compassion et de force. Sur le reste nous n'avons aucune prise.
Car nous sommes tous à égalité.
Nous allons tous mourir. Nous sommes conscients de cette finitude. Et nous ne savons pas quand viendra l'Ankou.