lundi 24 novembre 2025

Rêver encore

Cette nuit, je dormais en pointillés, recroquevillée dans mon pyjama de mérinos, pour garder mes distances dans le lit spartiate de l'auberge de jeunesse de Clermont, les heures s'égrenaient lentement, j'avais soif, quand soudain un rêve m'est venu.

Je conduisais mon Berlingo, très contrariée, profondément triste et retournée de colère, à travers mes larmes, j'ai eu un moment d'inattention et je n'ai pas vu que la route se terminait par un à-pic vertigineux dans lequel j'ai basculé sans pouvoir faire marche arrière. Coincée dans mon véhicule, je me suis sentie tomber, et j'ai accepté de mourir, là. C'était le moment et je n'y pouvais rien. Mais je ne me suis pas écrasée au sol : j'ai atterri doucement dans un de ces petits villages français signalés par l'élancement d'un clocher ceinturé de maison aux tuiles rouges.

Quand je me suis réveillée, j'avais retrouvé un peu d'espoir malgré le chagrin. Oui, c'est cela que je dois faire, trouver un de ces bourgs de quelques milliers d'habitants, où la vie s'écoule lentement, où je peux tout faire à vélo, et organiser ma vie en fonction de mes besoins et priorités. Il me reste à trouver où.

Car non, je ne resterai en Bretagne. C'est trop loin de ma famille, de mes amis. 

Je n'avais qu'une raison d'y être et c'était lui.

Lui si gentil, doux et serviable, une crème...encore là avec moi en route vers l'Ardèche pour un nouveau stage convivial de chant russe, la dernière personne que j'aurais cru capable de malhonnêteté, et qui, pourtant, me mentait depuis des mois.

Pendant qu'il me gardait sous le coude, une autre femme lui tournait autour, sous mes yeux, à laquelle il n'avait jamais signifié de fin de non recevoir. Ce n'était qu'une amie, j'étais inutilement jalouse. C'était pourtant à elle qu'il pensait quand il était avec moi.

Hypocrisie, lâcheté, calcul ?

Il n'a rien dit. En réalité, dès que j'ai quitté mon poste de gouvernante, intendante, femme de ménage et organisatrice de voyages, pour reprendre ma liberté, ses soi-disant sentiments pour moi ont faibli. Il s'est senti abandonné, alors que j'avais déménagé à 10 km pour lui enlever la pression de mon mal-être, tout en poursuivant notre relation. C'est une génération pour laquelle il est normal que la femme se sacrifie et pense d'abord aux besoins de l'homme

 Mais comme il déteste être seul, j'imagine qu'il attendait d'avoir concrétisé avec l'autre, avant de  cracher le morceau.

Tout cela, je l'ai découvert vendredi, en me réveillant dans le lit de notre étape d'Issoire. Il m'a suffit de poser quelques questions, pour obtenir une douloureuse réponse.


Et tardive. Car je redéménage cette semaine pour un meilleur logement, choisi plus grand -trop pour moi- (mais heureusement moins cher), ce qui me met dans une situation financière tendue pour quelques temps, prolonge encore le temps des cartons. Et me laisse seule, loin de tout, dans une région qui n'est pas la mienne; à appréhender de le voir partout avec celle qui n'attendait que ça, et qui n'a traversé avec lui aucune de ces turbulences qui m'ont vue à ses côtés.

Il était supposé ne pas y rester dans cette maison.
Il était supposé ne pas avoir besoin d'une bonniche.
Il était supposé être courageux, fidèle et droit.
Quand on s'est rencontré en septembre 2021.

Il avait juste besoin de combler sa solitude.
Ces hommes disent toujours ce qu'ils pensent qu'on a envie d'entendre.
Et ils ont raison, puisque ça marche.
Une fois de plus je me suis laissée utiliser.
et j'ai encore perdu quatre ans de ma vie.

Le retour de l'Ardèche a été bien long. Il lançait régulièrement la conversation comme si de rien n'était, s'étonnant que je ne réponde pas. Il planquait son téléphone sans arrêt, ce qui en dit long sur ce qu'il n'a rien compris de moi. Il m'a même proposé de l'argent, en rajoutant "c'est ce que tu attends non ?".
On croit connaître les gens, puis finalement...

Le kid m'a dit : "maman, c'est l'occasion de ne plus perdre ton temps pour les autres mais de l'utiliser pour toi."
Alors, au printemps, quand je me serai posée un peu, et réparée beaucoup, j'irai voir où se trouve ce bourg de mon rêve, que j'arpenterai à pied et à vélo, entre deux séances d'écriture.


jeudi 30 octobre 2025

Laissez danser les cygnes

 L'hiver dernier, je suis partie de fin janvier à la mi-mars, sept semaines exactement, traverser la Russie sur la ligne du Transsibérien.

Un voyage fantastique, un rêve réalisé, une vingtaine de villes visitées. Des images et des émotions, des rencontres fugitives dans le plus grand pays du monde, dont on ne croirait pas, la plupart du temps, qu'il est en guerre.

Comme d'habitude, ce qu'on nous en dit dans la presse européenne est assez éloigné de la réalité quotidienne. Il n'y a pas lieu de remettre en cause ici les errements d'un régime qui arrange et instrumentalise son roman national, ou arrête et condamne une jeune fille pour avoir chanté des refrains pacifistes dans les rues de St Pétersbourg (mais qui laisse filmer et publier les vidéos de son arrestation et de son procès, on se perd en conjectures...)

Notez le policier à côté d'elle, qui doit avoir son âge...

Et, les nombreux commentaires russes, sous ces vidéos, ainsi que sous les innombrables Tik-Tok, très soutenants (où l'on voit que les Russes ont, quoi qu'on en dise, accès aux réseaux sociaux)


Les activités subversives de Naoko
Chanter "nous voulons danser comme les cygnes du lac"....

C'est ce pays de paradoxes, pour lequel il est très facile d'obtenir un visa électronique de 30 jours, en ligne, en quatre jours, et où je me suis sentie totalement libre de visiter, de circuler (après tout de même, un passage de frontière très contrôlé), que j'ai traversé d'est en ouest, parce que je voulais connaître l'hiver russe.

Je m'étais promis de revenir sur ce voyage, d'en traduire mes impressions, et je m'aperçois que je n'ai rien fait du tout de cette aventure. Me voici donc prête à rédiger quelques articles sur ce qui s'est engrammé dans mes souvenirs.

samedi 18 octobre 2025

Mes meilleures vies

Nous marchions dans la fraîche lumière dorée d'un samedi d'octobre, en faisant crisser les feuilles sous nos pas qui éclataient, ici et là, les abondantes bogues de châtaignes. J'ai eu envie de fixer cette image et je me suis arrêtée pour le photographier, tandis qu'il continuait d'avancer dans le chemin creux.

J'ai pensé : "je vis ma meilleure vie".

Cet automne breton est, jusqu'à maintenant, sous le signe d'un soleil déclinant mais encore très doux à son zénith.

Matins et soirs refroidissent. Chez moi, pas encore de chauffage, chez lui déjà, il faut lutter contre la sournoise humidité des bois, qui fait frissonner dès que l'on entre dans la maison, où, heureusement, je ne vis plus. Elle sera bientôt vendue apparemment, et il pourra écrire un nouveau livre. Il a fait un impressionnant chemin pour passer du déni à la réalité, en cessant de se laisser paralyser par la peur. Et finalement, il a eu une proposition. 

De mon côté, je vais redéménager. Déjà ? Oui... mais toujours un rez-de-chaussée au calme, dans le même bourg, dix mètres carrés de plus, soixante euros de moins, des placards partout, un garage pour la voiture, mon vélo chéri, mes affaires de camping, une petite terrasse, un bout de jardin où je ferai ce que je voudrais. Et des propriétaires sympathiques et droits. En réalité, depuis ma première semaine ici, du moment où mon bailleur m'a dit : "arrêtez de nous faire chier et de nous casser les couilles, si vous n'êtes pas contente cassez-vous et donnez votre préavis, il y a dix candidats derrière la porte", j'ai commencé à chercher ailleurs. Pendant que son karma le rattrapait et qu'il perdait trois mois de loyer avec deux autres appartements sur les bras, je me suis dit que la chance serait avec moi. La vie (et le bouche à oreilles) m'ont exaucée. J'espère que ça va continuer et que tout va bien s'aligner pour que je récupère ma caution et qu'il reloue avant la fin de mon préavis début janvier (sachant que je déménage début décembre). C'est sa femme qui s'en occupe, elle semble correcte, et surtout elle aura peut-être compris qu'il ne faut pas attendre le dernier moment pour chercher, compte-tenu des précédents avertissements de l'univers.

Pourquoi je raconte tout ça ?

Parce qu'en réalité ce n'est pas la première fois que je vis ma meilleure vie. Et pas la dernière j'espère.

Chaque fois que je réalise combien m'est précieux chaque moment de mon existence, quelle chance j'ai d'avoir un toit sur ma tête, de manger correctement, de passer du temps avec les gens que j'aime, de voir du pays, de vivre des aventures plus ou moins insolites, ou au contraire un quotidien léger, je qualifie cette prise de conscience de "ma meilleure vie".

Cette vie, elle a commencé par le pire. Être une enfant de remplacement, être violée petite fille, voir ma mère fracassée après un accident de la route, la solitude, l'insécurité matérielle et affective, la précarité, la faim, la détresse, le travail trop tôt... Il y a pire c'est certain, mais ce fut tout de même beaucoup de souffrance, et il m'en reste toujours quelque chose, de tapi là dans l'ombre, dont je ne suis pas libérée. Le serai-je jamais ? Je pense sincèrement que non. Les épisodes difficiles sont à leur place certes, dans le passé. Néanmoins la justice des hommes jamais ne me reconnaîtra comme victime dans ma chair et dans mon âme et un prédateur aura tranquillement, vécu aussi sa meilleure vie, probablement en assassinant, en toute impunité, d'autres petites proies.

Alors ces portions de bonheur, de liberté, de confort goûtent la saveur très particulière du pot de confiture chipé dans le placard. Elles sont un baume sur une plaie sournoise qui ne se referme jamais vraiment, une brûlure soudaine et récurrente, avec laquelle nous vivons aussi pendant nos meilleures vies.




mercredi 24 septembre 2025

Coulée douce - Jour 5 Arrivée à Orléans

Cinquième jour
Ce matin, au départ de Combleux, Sylvain est parti aider Richard qui devra affaler son gréement au passage du pont.






Nos mariniers Chavans restent à deux. Mais en remontant de la cale, je tente un recrutement et c'est Julien qui sera aux avirons rouges à l'arrivée. Ils repartent donc de Combleux avec un nouvel Arcandier de Jargeau.


Je les envie un peu, je sais leur émotion.
Je suis heureuse d'avoir joué avec mes cartes.
Reconnaissance à Nelly qui n'a rien lâché de ce projet et m'a embarquée avec eux, à Gilles qui est toujours positif.
Orléans n'est qu'à quatre kilomètres.
Je négocie une douche à la mairie de Combleux (grand merci mesdames) et j'enchaîne avec la récupération des pass mariniers et du Graal : la clé du gymnase où je peux stationner mon véhicule, et se trouve une tente à notre nom, du chauffage, des sanitaires et de l'électricité....
Mes camarades ne l'occuperont guère; ils bivouaqueront sur une île du port; avec les autres mariniers.




Arrivée pleine d'émotion...





Vidéo Gilles Aubague

Orléans c'est très beau.

La cathédrale est grandiose.

Je prends le temps d'y mettre un cierge à Marie, pour remercier le ciel, et les gens sur notre route.

Spécialement Joëlle...

Mon reportage et mon intendance s'arrêtent là.

Quelle aventure humaine !

Quelle fierté de porter les couleurs de la Chavannée, notre identité de collectif, de courage et de partage, et la joie de nos chants !

Pensée profonde pour le vaillant équipage qui nous a précédé il y a plus de dix ans, tout à la rame et en autonomie (pensée très spéciale à la mémoire de Jacky Griffet).




mardi 23 septembre 2025

Coulée douce -Jour 4 De Bouteille à Combleux

Quatrième jour

À la cale de St Benoit, après leur nuit de bivouac tout trempe, l'équipage vient nous rapporter leur bagage, que nous ferons sécher dans la journée avec ma complice Joëlle.






Escale réchauffage au pont de Châteauneuf sur Loire.










Déjeuner puis passage du pont de Jargeau où, depuis quelques semaines, une toue cabanée est restée en travers.






Après Sylvain, marinier de l'équipage du Tak, c'est Baptiste, un des Arcandiers de Jargeau qui a pris le relais. Nous avons beaucoup apprécié l'entraide sur cette avalaison.



Fin du quatrième jour
Ils arrivent trempés et fatigués à Combleux.


Petit moment de flottement, on sait que ce sera une nuitée sans douche ni confort.
Un autre équipage nous propose gentiment- à nous les filles- d'aller dormir près d'un feu de cheminée ...
Touchées, nous décidons quand même de rester tous ensemble, et nous les regardons partir vers la chaleur...


Parfois il faut juste se laisser faire par les circonstances.
La vie a tellement d'imagination !
Improbable soirée urbex à l'Escale, une usine désaffectée pleine de magnifiques murals.






Je peux y rentrer mon véhicule.
Nous sommes au sec et à l'abri du vent.
Demain matin on pourra dormir tard, et je pourrai préparer un autre petit-déjeuner chaud que nous prendrons assis.


La joie du partage et des choses simples.
Nous sommes ensemble et il y a un accordéon...

lundi 22 septembre 2025

Coulée douce - Jour 3 De Gien à Bouteille

Troisième jour

Alors que le soleil tente de nous réchauffer dans le vent de l'aube, les mariniers se préparent à franchir le radier au niveau de la centrale de Dampierre.

Photo Gilles Aubague

Ce n'est pas une écluse comme à Belleville.

Les centrales nucléaires sont évidemment très protégées, floutées sur la carte satellite, et je n'ai pas d'indication claire sur le lieu de la passe à bateaux.

Tandis que les équipages sont en vue des cheminées (photo prise par eux), je réfléchis. La centrale est rive droite, le passage sera donc rive gauche. Je ne dois pas me tromper car ça prend 30 bonnes minutes de retrouver un pont pour traverser.

Je regarde le plan des berges, il y a le gymnase EDF rive gauche et ça, c'est rarement protégé par autre chose que des panneaux. N'étant pas animée de mauvaises intentions (et la centrale est informée du passage des bateaux bien sûr) je décide donc de tenter la rive droite tout de même.

Pour avoir vécu en Louisiane, je connais bien l'économie des levées.

Bingo, il n'y a pas de barrière...

Surprise, dans mon rétro je vois deux véhicules me suivre.

J'arrive au bout de la levée, finalement bien en amont de la centrale.
Une figure familière descend de sa voiture, précédée d'un agent de la centrale qui connaît l'endroit.
Evelyne, une camarade du milieu trad...


Agrandissez ! Agrandissez encore ! Sur la rive gauche on distingue la passe à bateaux de St Gondon, et les embarcations qui sont déjà en aval.

Ils vont déjeuner là, alors Évelyne décide de faire le tour pour 45 minutes de voiture et les rejoindre.


Moi je rebrousse chemin direction Sully-sur-Loire : j'ai les courses à faire pour ce soir et le pique-nique du déjeuner de demain à préparer ...

Bien évidemment, une heure plus tard, j'apprends qu'ils ont fait un bac pour pique-niquer là où nous étions...?



(Photos passe de Saint Gondon Gilles Aubague)

Dans cette ambiance conviviale très chargée en testostérone, je ne suis pas peu fière d'accompagner MES mariniers, MON équipage.

En coopération avec Gilles et Stéphane, les filles aux avirons rouges, leur enthousiasme sans faille, leurs joyeux youyous aux passages délicats comme aux arrivées pimpent, tout en sourire, le cortège des loups de rivière.
Ici à Sully-sur-Loire.


Selfie Gilles Aubague
À la cale du port de Bouteille (45), le paysage enserre dame Loire majestueusement.
J'y attends mon équipage pour leur remettre le matériel du bivouac sur l'île.



Voilà, après un bac depuis l'île, c'est chargé : les pommes de terre, la faisselle, la ciboulette et les brochettes de poulet, les tentes et les sacs de couchage, le petit-déjeuner de demain matin.
Il était prévu que j'embarque aussi pour le dîner au feu de bois. Mais, bien que j'aie toute confiance en mon équipage, j'ai calé à l'idée de revenir dans le noir, dans le froid et sous la pluie à mon bivouac.
Je décline. Finalement, que chacun vive l'expérience à sa façon, je trouve ça formidable.
Ce soir je dormirai au sec et au chaud, chez la très complice et très soutenante maman de Sophie, pendant qu'ils porteront haut nos chansons de rivière...


dimanche 21 septembre 2025

Coulée douce - Jour 2 De Saint Satur à Gien

 Ce matin, il faut passer l'écluse de la centrale de Belleville.

La pluie tombe sans discontinuer depuis hier soir.
Petit moment d'émotion quand nos mariniers tout trempés s'engagent dans l'écluse de Belleville.






Vous connaissez l'histoire néerlandaise du petit garçon qui a empêché la digue de s'effondrer en bloquant un trou avec son doigt ?
Eh bien ce matin, la porte de l'écluse EDF a disjoncté...?
Quelqu'un a dû chercher une clé spéciale.
Heureusement il y a une astreinte le dimanche.



Le soir, la pluie a enfin remballé ses trombes.
Sur les conseils avisés d'un vieux loup de rivière (special tribute to Pin Pon, équipage de Jargeau, la ville, pas les bredins) nous avons fait le choix, hier et ce soir, de renoncer aux malcommodes hébergements de fortune proposés, contre des campings.
Disons qu'après tant d'humides émotions, une douche chaude relève du nécessaire.
Opération séchage des tentes (et d'un peu tout) dans la bonne ville de Gien, en attendant mon équipage.