Rahan avait son coutelas.
Les mois de décembre et janvier sont propices aux bilans. Et le mien est sans appel : je ne veux pas rester dans la maison où nous vivons. Je partirai en septembre.
Bien qu'il n'y ait pas de loyer ou de crédit à rembourser, elle est un gouffre financier pour mon compagnon, ce qui reste son choix. Cependant son entretien quotidien est extrêmement et inutilement chronophage et ça, c'est sur moi que cela pèse, en prenant trop souvent le pas sur le reste, et notamment le temps que je souhaiterais consacrer à l'écriture.
A notre âge, le temps file. Quand nous avions engagé notre relation, il avait clairement formulé son envie de partir et je l'avais cru. D'autant plus qu'il avait souvent évoqué les tentatives avortées de départ, dont sa défunte femme ne voulait pas. Un an plus tard je le rejoignais ici, dans mon esprit temporairement, en attendant d'écrire de nouveaux chapitres ailleurs.
Seulement voilà, mon arrivée à induit de nombreuses améliorations et transformations. Et maintenant, finalement, il s'y trouve bien. C'est que, d'un milieu modeste, il aura travaillé toute sa vie pour payer cette maison qui ne lui appartient même pas vraiment. Je respecte son envie de laisser quelque chose à ses enfants. Mais c'est déjà leur propriété. Et laisser un poids, ce n'est pas forcément la bonne option.
A la lourdeur astreignante de l'entretien, s'ajoute l'isolement. Quoi que l'on fasse, il faut prendre son véhicule. Et dans cette voiture, je passe beaucoup trop de temps. Pratiquement tout ce que je fais, activités ou suivi médical, exige un trajet de 15 à 45 minutes. Ces distances ont un impact tant sur ma disponibilité d'esprit, que sur la pathologie de ma hanche : je ne peux pas aller si souvent à la piscine, j'ai moins le temps de marcher...
Cela n'a jamais été mon choix de vie. Je suis une femme autonome et libre, et là, non seulement je me sens prisonnière de choix qui ne sont pas les miens, mais, en outre, la situation a, pour moi, un désagréable relent de déjà vu : je sais trop comme les hommes, finalement, ont surtout besoin de compagnie pour éponger un deuil. Ils sont souvent prêts à toutes les promesses. Et puis, finalement, le temps passant, ils recréent leurs anciens repères, retrouvent une forme de confort. Même si leur lieu de vie ne leur plaisait pas, même s'il n'est plus en adéquation avec l'évolution de leur quotidien, ils préfèrent rester dans ce qu'ils connaissent, que tenter l'aventure d'un avenir toujours aléatoire. Quand il a dit "je n'arrive pas à me projeter", j'ai cru revenir dans une autre relation, cinq ans en arrière. Et c'était plus blessant que plaisant. J'éprouve parfois un intense sentiment d'injustice : pourquoi est-ce toujours à la femme de tout sacrifier ?
Pourtant, et j'aurais dû commencer par là, il y a ici un paramètre très différent : c'est la douceur sans réserve de la vie quotidienne avec un homme doux, respectueux, drôle et attentionné. Les petits gestes tendres, les repas préparés ensemble, les concerts, les festou-noz et deiz, les rigolades, les conversations à bâtons rompus, les expérimentations en cuisine, les balades ici ou là, tous ces petits riens qui comptent tellement dans une relation. En plus il est beau et il a appris à danser ! Vraiment, non, je ne voudrais ni mettre un terme à cette relation là, ni l'obliger à prendre une décision précipitée en lui mettant le couteau sur la gorge...
Voilà pourquoi, en septembre, je vais louer un pied à terre à Quimperlé (ou éventuellement à Lorient, mais j'aime moins) que j'apprécie beaucoup, qui est à une demi-heure d'ici, pas plus loin des Boys et à un quart d'heure de la mer (au lieu de 45 minutes d'ici...) Dans l'idéal, ce serait pour nous deux, le temps de vérifier que c'est le lieu qui nous convient. Nous avons entendu trop de plaintes de connaissances qui ont tout vendu, déménagé et le regrettent aujourd'hui. Notamment ceux qui sont partis sur la côte, où l'on n'est jamais vraiment tranquille.
Il faut maintenant espérer que je trouve un logement décent et que nous le testions à deux...