Le jour où j'ai
découvert
Clorinde, j'ai aussi découvert le vernis-colle, et on
peut dire que ça a changé ma vie.
C'était il y a huit
ans.
Un petit matin de
brume, une bonne heure de route, l'arrivée dans l'atelier :
début du stage sur les carnets de voyage.
Je m'attendais à
une table, du matériel, un carnet, un voyage, des instructions, des
techniques.
Mais pas du tout.
Enfin pas tout à
fait.
Parce que là, dans
la combinaison rouge toute peinturée, ce n'était pas une prof qui
nous parlait. C'était une plasticienne.
Avec atelier s'il
vous plaît. Les portes grandes ouvertes sur un univers esthétique à
explorer, prêt à être partagé : des coffres, des étagères,
des caisses à roulettes, remplies de possibles.
Et une louche,
plongée dans un
seau de vernis-colle.
Je m'étais inscrite
parce que je sentais bien que les mains et les yeux pouvaient donner
à voir autre chose que ces productions pathétiques élaborées au
cours pénibles séances pompeusement affublées du vocable d'arts
plastiques, sur lesquelles je ramais -comme dans du sable – depuis
trois ans.
Élevée dans une
caisse à savon, j'avais le rapport à la culture des gens de peu :
un concept un peu grandiose, bien à l'abri dans les musées, à
distance du quotidien. L'art, jusque là, je croyais que ça n'était
pas pour moi. La culture du beau, de l'esthétique, de l'œuvre de
référence, je ne l'avais pas. Les techniques je ne les connaissais
pas.
Il fallait que ça
change.
Avec Clorinde, j'ai
appris trois choses. La première c'est que cadrer le monde avec une
lunette en fil de fer, ce n'est pas voir les choses par le petit bout
de la lorgnette. C'est se donner les moyens de voir des détails, de
délimiter des contours, de saisir ce qui est à notre portée sans
aller se perdre dans l'immensité. La deuxième c'est le concept de
dictée visuelle. On écoute les mots, et en quelques minutes, on
pioche dans le matériel pour créer une représentation. La
troisième, c 'est que le beau n'est pas forcément l'académique,
bien au contraire, et qu'à ce compte là, il est permis à tous de
s'y frotter.
Bref, la production
plastique, j'ai compris que c'est déjà une question de regard, et
que si on a l'œil, on a la main.
Alors, quand elle
nous a dit de représenter le chemin parcouru pour venir jusqu'à
elle, j'ai eu confiance, et j'ai osé choisir une boîte.
Parce que j'en avais
envie.
Une boîte, une
chose en entraînant une autre, ça veut dire un trésor. Et ça
faisait un petit moment que je lorgnais sur le concept.
Première tentative,
quelques mois avant, l'idée d'une boîte de Noël, avec ma première
classe. Dans mon idée, c'était une boîte décorée Noël, sentant
Noël, tintinnabulant Noël, au toucher doux et soyeux. Dans la
réalité, ce fut terriblement minable, posé dans la pièce à côté,
et écrasé par les pieds du cantonnier qui a aucun moment n'avait eu
l'idée que ça puisse être des œuvres.
Quelques mois plus
tard, j'ai entrepris le périple jusqu'à cet atelier. Je suis
arrivée avec le cœur qui cognait aux tempes. Pas seulement parce
que j'étais en retard. C'est ce truc un peu délicieux et un peu
douloureux, quand tu sais que tu vas te confronter à quelque chose
qui te semble un peu trop grand pour toi. Inaccessible.
Deux jours plus
tard, je m'étais essayé au croquis, au portrait, et je me sentais
vivante, grandie. Je suis repartie avec une bonne rasade de confiance
en moi, un genre d'alcool fort qui te fait chaud partout, et
t'étourdit un peu.
Et ma boîte, pas
terminée.
Sur la feuille
d'évaluation, à la question « Êtes-vous satisfait du
travail que vous avez réalisé ? », j'ai répondu
« Non, pas encore. Mais ce non achèvement me convient très
bien. » et à « que pensez-vous de la méthode ? »,
je me suis enthousiasmée « faire pour savoir-faire, ouis faire
faire : oui et encore oui ! ».
Depuis j'ai tordu,
plié, découpé, déchiré, collé, plongé avec bonheur mes doigts
dans la peinture, soufflé sur de l'encre, protégé les croquis de
mes carnets de mémoire avec des bouts de papier de soie scotchés.
Chacun de ces petits
gestes devenus spontanés m'évoque encore ces deux jours lumineux,
étonnants et espiègles.
L'une des rares choses à laquelle je sois fidèle.
J'ajoute, j'enlève.
Elle ne sera jamais
terminée.
Parce qu'elle est
vivante.
Édit 1 : aucune remarque sur le sous-pull svp. Je jure que je ne l'ai plus.
Édit 2 : c'est mon texte pour le livre sur Art Nomad, à paraître.