samedi 16 mai 2009

Langage sans tenue

Candide comme je suis, je ne connaissais jusqu'à l'an dernier que trois registres de langue : le familier, le courant et le soutenu.

Ce n'est qu'en pénétrant dans le monde du rap, par la porte de service, celle du pénitencier, que j'ai découvert, ébahie, un quatrième registre : celui de la tesse (cité).

Quelques exemples pour bien vous faire comprendre le propos : si vous pensez que la "caillasse" signifie "caillou" (de ceux qu'on jette sur les pompiers qui viennent éteindre la voiture en feu du voisin) c'est que vous vous exprimez en langage familier. En effet, en langage tesse, la caillasse c'est l'argent, qui rime, d'après ce que j'ai compris, à bon escient avec le mot pétasse (pour avoir des pétasses, faut d'la caillasse)
Car dans ce monde où l'on occupe l'essentiel de son temps à niquer la police, et ta mère par la même occasion, si vous prenez la trace, ce n'est pas que vous descendez gracieusement les pistes d'une station très classe, mais qu'en vitesse tu te casses.
Le comico n'est pas l'artiste invité du dernier spectacle des Enfoirés, mais le commissariat, qu'on finit toujours pas approcher un jour de près.
Dans le même registre, le charasse (ou zetla) n'est pas un ancien ministre des finances, mais un truc qui se fume, assez couramment semble-t-il, et qu'on appelait jadis shit ou chichon, ce qui convenons-en, était déjà le comble de la vulgarité.
Ainsi, mesdames, si un jour de grève des transports en commun, vous vous égariez dans la zone, n'allez surtout pas confondre le stick d'édulcorant que vous mettez dans le café, avec celui qu'on roule, après le café.
Quant à vous messieurs, si une panne subite de GPS vous laissait en rade dans un quartier, loin, loin du Pont de Neuilly, sachez que les plaques ne sont pas celles qui indiquent l'immatriculation de votre 4 x 4 (toutefois, si on vous dérobe ces dernières parce que vous avez commis l'erreur de vous arrêter au feu rouge, c'est que vous l'aurez bien cherché).

Heureusement, comme en langage tesse, les meufs sont toutes des pétasses (tass ou chiennes), nous pouvons trouver des zones de rapprochement sur le terrain des vieux concepts évangéliques, selon lesquels la femme est soit vierge (Marie) soit prostituée (Madeleine).
Moi qui nourrit une passion dévorante pour l'histoire des trois religions de Livre, me voilà tout à fait rassurée.

Cela étant dit, le plus intéressant, pour les artistes de la rhétorique, ceux qui aiment jouer avec les mots, reste que, les quartiers, comme on dit (ça franchement je n'ai jamais compris pourquoi...), ont leur propre dictionnaire de rimes. Ainsi, si vous voulez pousser la chansonnette, vous pouvez utilement et abondamment ponctuer le lexique précédemment évoqué d'expressions imagées telles que "ta race, sale race, dans ta face, quelle face", etc.
Dans vos chaussettes vous planquerez vos barrettes (heu non, pas celles pour attacher les cheveux) et des plaquettes (pas de freins), vous vous habillerez en survêt., et comme elle est peut être mise à prix (votre tête), surtout vous n'oublierez pas votre casquette.

De marque bien sûr.
Oui, parce que sans marque ce n'est même pas la peine de mettre le nez dehors, on verra tout de suite que vous n'êtes qu'un trimard, ce qui rime avec connard (qui travaille, autant dire un clochard -langage soutenu-, clodo -langage familier-, SDF -langage bobo people-).
En ce qui concerne la chose du sexe, je n'ai pas encore tout décodé, il vous faudra donc attendre un prochain article. Mais ne vous attendez pas à du croustillant. A mon avis ce sera plutôt trash, voire gore.

Ce n'est pas que je veuille faire ma mijaurée.
J'ai poussé, comme j'ai pu, dans une cité de banlieue, point trop zonarde cependant, à une époque révolue que les moins de vingt ans n'ont pas connue : le temps où tout le monde était content de parler français, surtout les étrangers. De toute façon, on n'avait pas le choix : c'était la langue commune quand on se croisait dans l'escalier.
Le seul ascenseur qu'on utilisait à l'époque était social et se trouvait à l'école.
Comme je vis en Creuse depuis dix ans maintenant, je n'avais pas vraiment mesuré l'expansion de la zone de pratique de ce nouveau registre de langue.

Certes, au cours d'un récent périple aux sources de mon ancienne banlieue, j'avais bien noté que je ne comprenais pas tout ce qui se disait dans le bus. Néanmoins, comme j'étais occupée à expliquer à ma progéniture, le système des transports en communs, que nous ne pratiquons que très rarement chez nous, je n'avais guère eu le loisir d'y prêter attention.

Pour ceux qui ne connaissent pas notre désert vert, je précise qu'en dehors de trois gros bourgs de 6000 habitants, il n'y a qu'une seule ville qui en compte plus de 10000, Guéret. Quatorze mille habitants depuis trente ans dans le dico, une ville de préfecture, une ville de fonctionnaires donc.
Avec quelques mini zones.
Une maison d'arrêt.
Deux lycées.
Or donc, l'autre jour, mon fils invite un copain de 16 ans à la maison. Le genre chevelu, teint en noir corbeau avec plein de greffes dans les oreilles, qui croit (comme mon fils) avoir inventé le look rebelle des ados. S'apercevant de ma présence au moment de descendre dîner, il songe -un bon point pour lui- à venir me saluer.
Je lui tends la main, il l'attrape et m'attire vers lui :
"Allez on s'tape la bise !"
Sidérée, j'obtempère (non ce n'est pas un gros mot).
A ce moment, il m'apparaît comme une évidence que, en dépit des cinquante années de retard dont les gens de la ville nous affublent, nous avons été rattrapés par le progrès.
Et après je me regarde dans la glace, et je compte mes rides (la bonne nouvelle étant que, pour l'instant on peut encore les compter.)

Allez les miss et les rageux, j'vous kiffe tous. A mort.

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